Thierry Geerts, qui a dirigé Google Belgique pendant plus de 12 ans, succède aujourd’hui à Olivier Willocx à la tête de l’organisation.
Vous avez annoncé votre départ de Google en janvier. Vous attendiez-vous à reprendre du service aussi vite ?
Thierry Geerts : « C’est vrai qu’après cette
longue période au sein de Google, j’aurais pu envisager de prendre un vrai
congé sabbatique. Certains sont passionnés par le sport ou les voyages. Moi,
c’est par l’écosystème entrepreneurial et l’idée de faire avancer la société. L’opportunité
s’est présentée et j’ai voulu la saisir. Pendant les quelques semaines qui ont
suivi mon départ, j’ai d’ailleurs continué à soutenir des projets et rencontré
des entrepreneurs à titre individuel. Mais je préfère définitivement faire cela
avec une équipe ».
Pourquoi avoir décidé de relever ce nouveau challenge ?
« Il était hors de question de me mettre au service
d’un concurrent de Google ou de travailler pour une grande structure
internationale. Par ailleurs, je ne pouvais me projeter que dans une mission à
impact sociétal. Mais ce qui m’a définitivement convaincu, c’est la possibilité
d’œuvrer pour Bruxelles. J’aime beaucoup taquiner ceux qui racontent avoir
visité le monde, mais ignorent à quoi ressemble l’Atomium aujourd’hui. Entreprenariat,
Bruxelles, impact sociétal : cette responsabilité combine mes trois
passions. Par ailleurs, les excellents premiers contacts avec la présidente ont
réellement compté ».
Quel aspect de Bruxelles préférez-vous ?
« Sa diversité qui fait sa richesse. C’est une ville
difficile à décoder au premier abord, ce qui la rend passionnante. On peut
passer d’un troquet à une boutique de luxe en quelques mètres. Culturels, culinaires,
entrepreneuriaux : il y a des écosystèmes mais ils ne sont jamais stéréotypés
car il n’y a pas un type de Bruxellois. Avec ses 170 nationalités et toutes ses
communautés, Bruxelles est un reflet du monde. Dans la dimension locale de ses
petits quartiers et celle internationale d’une capitale de l’Europe. Le tout
mâtiné d’un « non peut-être » plein de bon sens ».
Et quel aspect vous plaît moins ?
« Son manque de fierté. Les habitants de toutes les
capitales du monde sont fiers d’être qui ils sont, mais pas chez nous ».
Avant Google, votre parcours vous a mené d’une blanchisserie industrielle à Schaerbeek au groupe média Mediahuis (alors VUM). Que retenez vous de ces expériences ?
« Quand on devient CEO d’une société industrielle de
100 personnes à 27 ans, on apprend tout très vite, des problématiques
environnementales à celles de la sécurité au travail, aux relations avec les
partenaires sociaux… On découvre aussi qu’il n’y a pas de sot métier. J’ai
d’ailleurs gardé cette curiosité pour tous les secteurs industriels, qui
recèlent des techniques, des savoir-faire et des modèles extrêmement riches. Pour
Mediahuis, j’ai développé un journal toutes-boîtes tiré à 4 millions
d’exemplaires chaque semaine dans 100 éditions différentes. J’y ai bien sûr
découvert le monde des médias mais aussi les dynamiques de villes et quartiers,
et la diversité du paysage des PME dans notre pays, car ce sont elles qui
étaient nos annonceurs ».
Quant à Google ?
« Je vais peut-être vous étonner mais avant la
technologie, je parlerai de l’expérience humaine. J’y ai beaucoup appris sur la
gestion du capital humain, la valorisation de la diversité et l’attention qu’il
faut porter à son impact sociétal. Bien sûr, je compte aussi faire bénéficier
BECI et tous ses membres de mes 20 ans d’expertise dans la transformation
digitale et l’intelligence artificielle. Les entreprises bruxelloises ne
peuvent louper ce train ».
Que vous apporte, par ailleurs, votre expérience de business angel ?
« Quand on travaille depuis longtemps dans une
société comme Google, le payement des salaires en fin de mois n’est pas un
sujet. Rester au contact des entreprises qui se lancent vous maintient au plus
près de ces réalités et des défis et responsabilités de l’entrepreneur, qui
sont trop peu reconnus dans la société ».
Qu’est ce qui fait, à vos yeux, la réussite d’une aventure entrepreneuriale ?
« L’entrepreneur lui-même. J’ai vu beaucoup de business plans très détaillés qui n’ont mené à rien. À l’inverse, certains projets de départ se sont avérés des succès mais pas du tout pour les raisons escomptées. Un business plan est utile pour baliser et établir un dialogue avec ses financiers, mais il est toujours rattrapé par une réalité différente. Et là, c’est la passion et l’énergie de l’entrepreneur qui compte vraiment, plus que n’importe quel MBA. J’ai une admiration sans borne pour tous ceux qui démarrent une activité de zéro ».
« J’ai une admiration sans borne pour tous ceux qui démarrent une activité de zéro »
Quel est votre vision de l’écosystème de soutien entrepreneurial bruxellois ?
« Les acteurs se sont multipliés mais n’oublions pas
qu’il n’y avait quasi rien il y a 15 ans. Cette diversité, notamment
sectorielle, est très opportune. Peut-être le paysage manque-t-il aujourd’hui
de visibilité pour un porteur de projet, qui ne sait pas forcément à quelle
porte s’adresser en premier. Par ailleurs, si l’on dispose de beaucoup de
structures d’accompagnement pour les start-ups, c’est beaucoup moins le cas
pour les scale-ups. Bruxelles doit encore travailler au développement de
systèmes aptes à financer de plus grand projets – 10 millions d’euros et au
delà – afin de maintenir ici des sociétés à ambitions internationales ».
La fonction de CEO revêt une importante dimension de dialogue avec le monde politique. Que pouvez-vous apporter à BECI ?
« Google a toujours accordé une grande importance à son impact sociétal et j’ai donc beaucoup interagi avec les responsables de tous niveaux. Notamment auprès des ministres fédéraux à la digitalisation en tant que membre du Conseil du digital, avec les autorités locales d’Etterbeek ou de Bruxelles-Ville dans le cadre de programmes d’aide à la digitalisation du petit commerce ou le déploiement de Street View, Google Maps ou Waze. Le monde politique est à l’image de Bruxelles, très varié. J’ai beaucoup de respect pour ces personnes qui s’engagent et qui, elles aussi, vivent des réalités de plus en plus complexes. Il faudra, des deux cotés, de l’empathie, de la pédagogie, de l’écoute mais aussi oser se challenger car le développement de Bruxelles a réellement besoin d’une approche constructive ».