Breaking Through - Briser le plafond de verre en Belgique

17 octobre 2024 par
Jane Davis

L'écart de rémunération entre les hommes et les femmes est tombé à 4,5 % ¹ en Belgique. Il n’empêche : la discrimination fondée sur le genre et l’origine² reste d’actualité. Dans l’intervalle, le plafond de verre entrave encore de nombreuses personnes qui tentent de déployer leur potentiel. On comprendra qu’il est plus difficile encore pour une femme de couleur telle que Ihsane Haouach de franchir de tels obstacles.


Enfance

Petite fille, Ihsane ne se considérait pas comme différente. « Je me disais : ‘Tu es marocaine et en même temps belge’. Cela a toujours été limpide pour moi. Mais je me suis vite rendu compte que ce l'était beaucoup moins pour les autres. »

Les immigrés sont souvent assimilés à des personnes peu instruites qui viennent en Belgique pour occuper des emplois mal payés et non qualifiés. C’est oublier que le père d'Ihsane était un diplomate marocain et que sa mère avait insisté pour poursuivre ses études.

« J'avais l'impression que l'égalité entre les hommes et les femmes était déjà acquise. Pour moi, il est normal, en tant que femme, d'avoir une volonté propre et de ne pas tolérer que d’autres régissent ma vie ».

Ihsane a toujours voulu aller à l'université, mais la diversité de ses centres d'intérêt a singulièrement compliqué le choix d’études.

« Opter pour le droit ? Ou plutôt le journalisme ? Au dernier jour des inscriptions, mon indécision restait entière ! J'ai donc fait un choix pragmatique : j'ai opté pour une école supérieure de commerce et pour le management ».

Lancer une carrière

Sa décision de porter le hijab suscite un tollé dans l’enseignement supérieur. Ihsane nous épargne élégamment les détails du racisme dont elle a fait les frais, mais il est évident qu’elle n’en est pas sortie indemne. « Probablement le premier grand choc dans ma vie. Vous savez, à l'école, les camarades de classe sont là et on se sent protégée. Alors là, dans cette haute école, je me suis dit : ‘D'accord, je n'ai plus qu'à décrocher mon diplôme’. J’ai terminé avec une grande distinction. La surprise totale. »

Elle rejoint, après ces études, une grande entreprise du secteur de l'énergie, où elle restera dix ans. « J'ai commencé par la finance. C'est tout simplement fondamental. Il faut connaître les coûts et le mode de financement de chaque nouveau projet ». De là, elle passe à la gestion du changement. Ces nouvelles attributions lui donnent plus de visibilité dans l'entreprise et la conduisent à participer à des réunions à Paris. Elle y devient une fois de plus une cible, notamment des agents de sécurité qui vérifient continuellement sa carte d'identité et demandent à la jeune femme de justifier sa présence.

Par-delà le travail

Ihsane ne se contente pas d’une carrière réussie. Elle s’implique aussi dans des initiatives sociales et découvre la force du théâtre comme moyen de communication. « Une scène de quatre minutes peut faire passer un message sur la discrimination bien mieux que des heures de palabres ». Elle cocrée par ailleurs une association qui promeut l'éducation des jeunes. Et elle fonde L'Épicerie, un centre éducatif, culturel et civique.

Ihsane est ravie : l'Institut pour l'Égalité des Femmes et des Hommes l’invite à le rejoindre pour y jouer un rôle important, qui n’est pourtant censé l’occuper que quelques heures par mois. Une fois de plus, le choix d'Ihsane de porter le hijab génère un conflit, cette fois au vu et au su de tous. Ce qui devait être une contribution à la diversité en Belgique se mue rapidement en un énorme fardeau. Ihsane préfère démissionner plutôt que de mener une bataille impossible.

Fatiguée par des semaines de polémiques politiques, huit ans de soutien au centre culturel et deux épisodes de COVID, Ihsane décide de prendre un congé et d'écrire. « Écrire sur le passé ne m'intéressait pas. J'ai donc écrit sur une femme prise dans la fusion de deux entreprises³​. La culture d'entreprise peut se révéler plus prégnante que celle d’une nation. L’entreprise est un microcosme de la société. Je conçois ce roman comme une allégorie de ce qui vit dans la société dans son entier.

Embrasser la diversité

Le roman achevé, Ihsane se cherche un nouveau rôle. Mais tout le monde souhaite qu'elle travaille dans la diversité. « Je leur dis : ‘Je ne suis pas experte en diversité. Regardez donc au-delà des apparences et examinez les profils. Lorsqu’on m’invite à une réunion, ma fonction correspond souvent à celle d'un cadre de 50 ans. Je n'ai jamais été pauvre. Quelqu'un qui a des origines étrangères n'est pas forcément en situation de précarité ». Et ils me répondent : « Comme c'est intéressant ! Pourriez-vous venir nous en parler ? »

Ihsane accepte l'inévitable et conçoit le modèle O.P.E.N. destiné à travailler avec la diversité. Elle écrit un autre livre ⁴ , qui cite des entretiens avec des cadres supérieurs. Elle s’efforce pendant ce temps de faire publier son roman. Les réactions des éditeurs sont positives, mais il y a un problème. « Ils me disent : ‘Nous aimerions beaucoup le publier, mais nous ignorons dans quelle catégorie le répertorier’. Voilà l'histoire de ma vie ! J'y ai toujours apporté ce que j'avais envie d'y apporter, peu importe dans quelle catégorie cela pouvait s'inscrire ! » Finalement publié, le roman est salué par la critique, « y compris pour sa qualité d'écriture, ce qui me fait plaisir car je suis perfectionniste ». 

Vers l'avenir

Ihsane travaille actuellement à un troisième livre. « Celui-là traite de l'énergie. Je me suis rendu compte qu'à force de mener les batailles qu'on m'impose, je risque de me perdre et en même temps ma vocation première, qui est de contribuer à l'inclusion sociale et à la transition énergétique. »

Aujourd'hui, elle consacre une grande partie de son temps à animer des ateliers et des conférences. Elle siège également au conseil d'administration de l'autorité de régulation de l'énergie. « Cela me confère de l’équilibre. Je peux passer une journée dans un contexte d'entreprise, à parler au niveau du conseil d'administration. Puis travailler avec une association, où je m’entretiens avec des femmes qui maîtrisent très peu le français. Et enfin participer à des négociations sur les tarifs de l'énergie. J'adore cela, parce que ce sont des mondes tellement différents, avec des gens qui ne se rencontrent jamais. Je fais office de pont. Quand je parle d'énergie, je pense à l'impact sur les familles les moins nanties. Dans un projet social, j'applique des outils de gestion d'entreprise et je pose toujours la question de l'impact climatique.  J'aimerais combiner toutes ces facettes dans un seul emploi, mais cela ne semble pas possible pour l'instant. Et puis, j'aime aussi ma liberté. »

Deux questions, pour terminer

Le meilleur conseil de carrière à une jeune fille ? « Connaissez-vous vous-même. Choisissez une voie en fonction de qui vous êtes. Préférez-vous maîtriser à fond un seul domaine ? Ou voudriez-vous faire plein de choses différentes ? Enfin, assurez-vous d'être payée équitablement. Ne dites jamais que l'argent n'a pas d'importance. Il en a. »

La Belgique, un pays où il fait bon vivre ? « Oui. Le sexisme et le racisme n’y ont pas disparu, mais c'est un pays où l'on peut travailler à ce qu'on aime. En Belgique, le travail est une joie, non un fardeau. Le problème de ce pays, c'est qu'il admire la France plutôt que de célébrer sa propre identité. C'est un endroit où il fait bon vivre ».


[1] C'est pas personnel, Editions Academia (en français)

[2] Ouvrez votre organisation, LannooCampus

[3] https://press.pwc.be/belgium-closes-gender-pay-gap-to-45-but-gender-inequality-remains-high

[4]https://www.brusselstimes.com/529472/belgium-remains-marked-by-racism-new-study-finds[2]


Jane Davis 17 octobre 2024
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