Depuis le 1er juillet 2013, les hôpitaux sont soumis à la réglementation des marchés publics. Objectif : plus de transparence, une gestion des hôpitaux qui se professionnalise et une meilleure allocation des ressources. Six ans après, où en sommes-nous ?
Depuis l’entrée en vigueur de la réglementation « marchés publics » dans le secteur non marchand, tous les hôpitaux sont soumis au droit de la commande publique. Une situation qui présente des avantages, mais aussi des inconvénients. « Travailler avec des appels d’offres publics permet une ouverture des marchés à une plus grande concurrence. Cela permet également plus de transparence et oblige ceux qui passent le marché à cadrer leur besoin avec précision », commence Jean-Marc Derep, chef du service des achats aux Cliniques Saint-Luc. « Par contre, cela augmente considérablement le volume de travail. » Jean-Christophe Gautier, Directeur Approvisionnement & Logistique aux Hôpitaux Iris Sud, partage son opinion : « Dans le temps, on définissait notre besoin en interne et on partait en prospection de marché. On pouvait discuter avec les fournisseurs et, au fur et à mesure de ces discussions, le besoin s’affinait. Cela nous permettait parfois de trouver des solutions auxquelles on n’avait pas pensé, qui étaient parfois techniquement plus intéressantes ou moins coûteuses. »
Vers une complexification des achats
Par ailleurs, entre la rédaction du cahier des charges, la diffusion du marché, la réception des offres, le rapport d’attribution, le choix du prestataire… le cycle d’achat est plus long qu’autrefois. Et certains délais, fixés par la loi, sont incompressibles. « Tout mis bout à bout, il peut s’écouler une bonne année entre l’expression du besoin initial et l’arrivée de l’équipement attendu. Dans certains cas, cela peut être problématique. Même les procédures pour urgences impérieuses restent moins rapides qu’un appel à un fournisseur qu’on connaît et en qui on a confiance. » À ce processus s’ajoutent encore les règles administratives propres à chaque hôpital. Dans les hôpitaux publics, au-delà de certains montants, il faut parfois attendre que le conseil d’administration ou de direction se réunisse, voire obtenir l’accord de l’autorité de tutelle. « Quand on ouvre un marché de haute technologie très évolutive, par exemple, c’est difficile de prévoir un instant T, un cahier des charges extrêmement précis et qui permettra de couvrir toutes les possibilités durant la durée du marché », ajoute Jean-Marc Derep.
Recrutement et culture d’entreprise
Pour Jean-Christophe Gautier, l’un des gros défis pour les hôpitaux est de faire entrer les marchés publics dans la culture d’entreprise, en particulier auprès du corps médical. Pour beaucoup de dossiers, les acheteurs doivent travailler avec les médecins. « Pour autant, les impliquer dans la rédaction du cahier des charges n’est pas toujours évident. Avant, on définissait une solution ; aujourd’hui, on définit un besoin qui va être mis sur la place publique et toutes les sociétés qui sont capables d’y répondre ont une chance de remporter ce marché. C’est une révolution culturelle pour les médecins et ce n’est pas encore vraiment assimilé. »
Autre défi : le recrutement du personnel. Depuis l’entrée en vigueur de la réglementation, nos experts ont tous deux dû renforcer leurs équipes ; mais la difficulté est de trouver les bons profils. En hôpital, on achète aussi bien des fournitures de bureau que des appareils de résonance magnétique nucléaire. « Nos acheteurs doivent avoir une connaissance du milieu hospitalier, des connaissances techniques sur un maximum de produits, des connaissances financières, une aptitude à négocier et un bagage juridique », explique Jean-Christophe Gautier. « Cela devient difficile de trouver des personnes ayant toutes ces compétences. »
Des marchés très variés
Les marchés sont nombreux et portent sur des domaines très variés tels que des appareils médicaux, des médicaments et produits stériles, des fournitures diverses, des consommables, des travaux de rénovation, des services de consultance, etc. « Nos marchés peuvent être intéressants pour tous les types d’entreprises », assure Jean-Marc Derep. Les entreprises ont accès aux offres via la plateforme e-Procurement.
Si, sur le principe, les marchés publics sont ouverts à toutes les entreprises, nos deux experts s’accordent sur le fait qu’il est plus facile pour les grosses sociétés d’y répondre. Et Jean-Christophe Gautier d’expliquer : « Les grosses entreprises font souvent appel à des cabinets spécialisés en marchés publics qui s’occupent de détecter les avis de marché potentiellement intéressants pour leurs clients. En comparaison, les petites sociétés ont donc plus de mal à accéder aux marchés. » La partie de la rédaction de l’offre, avec ses annexes, pose elle aussi de vrais problèmes. « Pour certaines entreprises, c’est vraiment abstrait et parfois, cela nous empêche de conclure le marché avec un prestataire qui proposait pourtant un excellent produit ou service à un prix tout à fait compétitif. » Mieux faire connaître la procédure à suivre auprès des entreprises et les aider à répondre correctement aux offres devrait être une priorité, estime-t-il.
Un secteur qui pèse lourd à Bruxelles
D’après une enquête réalisée par Beci, l’économie bruxelloise a profité, en 2016, de plus d’un milliard d’euros de retombées financières grâce aux quatre hôpitaux universitaires du CHU Bruxelles. À ce chiffre s’ajoute l’effet d’entraînement sur l’économie locale, qui porte à plus d’un milliard d’euros l’impact global du groupe implanté sur le territoire de la Ville de Bruxelles. Si l’on extrapole ces résultats aux autres hôpitaux, il est clair que le secteur hospitalier est un acteur socio-économique majeur pour la capitale.
Dans ce contexte, Jean-Marc Derep estime que le volume des marchés publics au sein des hôpitaux ira sans aucun doute en augmentant. « S’il y a une croissance des investissements, il y aura une croissance des marchés publics. Le défi pour les établissements hospitaliers sera de gérer ce volume de marchés et pour nos interlocuteurs, d’y répondre. »
Au-delà du matériel médical, les marchés publics des hôpitaux, ce sont aussi les consommables, la consultance, les travaux de rénovation…
Les soins de santé à Bruxelles c’est :
- 23 hôpitaux
- Près de 9.000 lits
- 1.500 médecins généralistes et 3.800 médecins spécialistes
- Près de 10.000 infirmiers et 8.000 aide-soignants
Source : chiffres IBSA 2018
« Les hôpitaux se sont rapidement adaptés »
« L’entrée en vigueur de la règlementation des marchés publics a constitué une petite (r)évolution au sein des hôpitaux. On n’achète plus aujourd’hui comme autrefois et cela, il a fallu s’y habituer. Confiance et dialogue doivent s’installer entre le corps médical et les responsables des achats. Mais le processus est définitivement bien en marche…
En effet, même si les hôpitaux se sentent parfois restreints par cette loi, ils ont pris les choses en mains sans se voiler la face : ‘Nous sommes désormais soumis à la loi sur les marchés publics, comment faire avec’ ? En se structurant différemment pour répondre aux étapes d’un marché public, les hôpitaux ont réussi très rapidement à s’adapter à la situation et cela ne peut aller qu’en s’améliorant encore.
Les acheteurs publics dans les hôpitaux se sont professionnalisés dans la commande et les hôpitaux se sont mis à jour dans un laps de temps très court. Et ce, bien que le travail soit de grande ampleur. Les hôpitaux achètent quantité de choses. Lorsque la loi est entrée en vigueur, on ne pouvait pas exiger d’eux qu’ils aient des cahiers des charges pour tout, du jour au lendemain. Ils se sont donc focalisés sur les achats les plus urgents, les contrats qui arrivaient à terme, etc. Ils ont dû rationaliser leurs activités et prioritiser. Aujourd’hui, le défi est de capitaliser ce processus pour l’ensemble de leurs besoins. »
Christophe Dubois, avocat-associé chez Equal