Dans la problématique de la mobilité bruxelloise, impossible de ne pas évoquer la Stib. Parce qu’il s’agit d’un acteur incontournable, mais aussi parce qu’elle cristallise beaucoup de critiques de la part des automobilistes invités à abandonner leur véhicule pour les transports en commun. Tram, bus et métro seraient trop lents, leur fréquence insuffisante, leur confort relatif, la billetterie trop limitative… Critiques fondées ou prétexte pour ne pas les utiliser ? Le point avec Françoise Ledune, porte-parole de l’opérateur public, sur la réalité du transport à Bruxelles et ses perspectives de développement.
Face à l’accroissement de la population, à l’augmentation de la demande et à la volonté d’aller vers une mobilité plus douce, la Stib va devoir consentir des investissements extrêmement lourds. Est-ce que les moyens qui vous sont alloués par l’autorité de tutelle sont suffisants ?
Aujourd’hui nous avons un plan d’investissement de 6,2 milliards fixé jusqu’en 2028. Ce sont des moyens très importants et qui correspondent aussi à nos capacités pratiques de réalisation. Notre réseau évolue progressivement en fonction des besoins. Cela se prépare depuis de nombreuses années et s’accélère grâce aux moyens mis à notre disposition par la Région de Bruxelles-Capitale mais aussi, en partie, par l’État fédéral à travers le Fonds Beliris dans le cadre du rôle national et international de la capitale.
Les nouvelles technologies sont devenues incontournables ; quelles sont celles qui vous paraissent les plus intéressantes et les plus utiles pour la Stib ? Est-ce qu’on parle de véhicules autonomes ? De billetterie de point à point ?
Nous avons plusieurs projets d’innovation en cours. À commencer par le MaaS, l’intégration des différentes solutions de mobilité au sein d’un univers fixe.[1] Nous travaillons au développement d’une plateforme digitale qui intègre non seulement la Stib et les autres opérateurs de transport public (De Lijn, SNCB, TEC), mais aussi l’émergence de nouvelles formes de mobilité : trottinette, vélo électrique, voitures partagées etc. pour proposer à l’utilisateur une offre ‘door to door’ multimodale, autour de la colonne vertébrale que représente le transport public à Bruxelles. L’idée est de proposer un trajet intégré, efficace et facile pour un prix global et ce, en quelques clics, de sorte que ce soit hyper facile pour l’utilisateur. Un deuxième axe de développement, c’est le transport à la demande.
C’est-à-dire ?
Aux heures de pointe, le transport public est performant, la demande est forte et les fréquences élevées. Mais en soirée par exemple, c’est un peu plus compliqué. Nous avons un réseau de bus de nuit le vendredi et le samedi soir. Les autres soirs, un transport à la demande de type Collecto est une solution plus pragmatique. D’un côté, une offre de nuit est mise en place pour ceux qui en ont besoin mais, d’un autre côté, on ne fait pas rouler des bus à moitié vides dans des zones où la demande ne le justifie pas, alors que nous en avons besoin ailleurs. Le transport à la demande permet de proposer une offre de mobilité adaptée dans des zones où la demande est plus faible, mais qui nécessitent néanmoins que nous assurions notre mission de service public.
C’est un système qui serait collectif alors, sinon, vous faites taxi.
Oui, c’est ça. Le transport collectif à la demande. Ça existe dans pas mal de villes allemandes notamment. Vous évoquiez les véhicules autonomes : nous avons testé cet été de tels véhicules dans le parc de la Woluwe. Nos deux navettes autonomes brandées Stib y ont eu beaucoup de succès. Nous allons poursuivre ces tests en augmentant graduellement leur complexité. Le prochain test se fera sur le site de Solvay, à Neder-Over-Heembeek, où nous aurons une interaction avec d’autres véhicules motorisés. Enfin, nous souhaitons réaliser un troisième test en interaction avec une voirie.
En termes de véhicules autonomes, l’idée circule que sur certains tronçons relativement linéaires, on pourrait remplacer le tram ou le bus par des navettes autonomes, par exemple au boulevard de la Woluwe ou à l’avenue Louise, avec des va-et-vient incessants, plutôt que d’avoir des véhicules accumulant parfois des retards sur de longs trajets. Qu’en pensez-vous ?
C’est l’objet du test de voir où et comment ce serait pertinent, dans quelles circonstances… À l’heure actuelle, nous ne sommes pas dans l’idée de remplacer une ligne mais plutôt de compléter l’offre existante. Ces véhicules ‘intelligents’ sont équipés d’un système Lidar, qui leur permet de reconnaître leur route et contourner les obstacles mais aujourd’hui, cela reste des véhicules de très petite capacité et qui roulent très lentement, à 10 ou 15 km/h. Il ne faut pas confondre les véhicules autonomes et les véhicules automatisés que l’on connaît dans certains réseaux. Une automatisation du métro sur un tronçon démonstrateur est prévue à Bruxelles dans les prochaines années, dans une optique d’augmentation des fréquences.
Pouvez-vous expliquer ?
En réalité, les capacités de réaction de l’être humain font que l’on ne peut pas descendre en dessous d’un certain intervalle entre deux trains. Aujourd’hui, le métro est déjà automatisé à 80 % et les rames circulent à 2 minutes. Mais si l’on veut descendre en dessous de la minute d’intervalle, on est obligé d’aller vers une automatisation complète. Parce que l’être humain n’est pas aussi régulier qu’une machine. Une fois, il va conduire un tout petit peu plus vite, une fois un tout petit peu plus lentement… Cela joue énormément si l’intervalle est très réduit. Grâce à l’automatisation, on peut gagner du temps et surtout de la capacité en toute sécurité.
Autre chose : les entreprises de Bruxelles se plaignent des problèmes de mobilité. Il n’y a pas qu’elles, d’ailleurs… On a l’impression que Bruxelles a entamé une chasse aux voitures avant de se préoccuper de l’offre de transport en commun. Le projet récent de supprimer 60.000 places de stationnement en surface est un nouvel exemple. L’idée prévaut qu’on met la charrue avant les bœufs. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’il faut travailler à la fois à l’accroissement de l’offre de transport public – ce que nous sommes en train de faire – et à la réduction de l’utilisation de la voiture en ville. La Région investit massivement dans les transports publics et c’est vrai que ça prend du temps et que ça coûte beaucoup d’argent. Mais les résultats sont là, même si tout le monde ne s’en rend pas toujours compte.
Ça, c’est votre job à vous de le faire savoir !
Oui, c’est notre job à nous de le montrer. Mais sur le terrain, cela se voit. Souvent, c’est l’automobiliste qui pense que le transport en commun n’évolue pas assez. Mais l’utilisateur, lui, il voit bien le changement. La preuve, c’est qu’on enregistre une croissance de la fréquentation du transport public d’un niveau quasiment unique en Europe, de l’ordre de 40 à 50 % sur 10 ans. C’est énorme. L’augmentation de la congestion automobile encourage aussi le changement. Un trajet en voiture qui prenait un quart d’heure il y a 20 ans, il prend 45 minutes aujourd’hui. Et donc au bout d’un moment, les gens se disent : je vais peut-être essayer le tram. Et ils constatent que ça marche bien. Ensuite, il y a l’argument économique. Le transport public est beaucoup moins cher que la voiture. Il y a aussi des incitants comme le remboursement de l’abonnement par les entreprises. Vu l’augmentation du coût de l’essence, si votre abonnement est remboursé quasiment à 100 % par votre employeur, il n’y a pas photo. La sensibilisation environnementale aussi a fait son chemin. Vous pouvez dire : ‘oui, mais moi, je prendrai le transport public quand on le développera, on met la charrue avant les bœufs’. Mais c’est une vision passéiste parce que les bœufs, ils sont déjà là, depuis pas mal d’années. Et c’est souvent juste une excuse pour ne pas abandonner sa voiture.
Quel est votre message aux entreprises qui se plaignent ou qui menacent de se délocaliser dans la périphérie pour ne plus être soumis au diktat de l’embouteillage ?
Privilégiez le transport public. Incitez vos collaborateurs à l’utiliser, combinez-le avec d’autres modes de mobilité. Et vous verrez que vous gagnerez du temps. Tout le monde sait qu’il n’y a pas plus rapide que le métro quand on est en centre-ville. Et puis, il y a la marche, le vélo, une multitude de possibilités qui peuvent s’accorder à chaque besoin. C’est ça la révolution dans la mobilité à Bruxelles. Il n’y a plus vraiment d’excuses pour dire : je suis obligé d’avoir tout le temps ma voiture dans Bruxelles.