Limiter l’usage de la carte carburant, est-ce possible ?

8 avril 2022 par
BECI Community

[article invité]

Le coût des différentes ressources d’énergie a drastiquement augmenté: électricité, gaz et, bien évidemment, l’essence et le diesel. Cette flambée des prix se ressent également dans les finances des entreprises, notamment celles mettant à disposition de leurs travailleurs un véhicule de société avec carte carburant. 

Bien que certaines entreprises aient déjà opté pour l’allocation d’un budget de carburant mensuel, d’autres n’imposent a priori pas de limite à l’usage de la carte carburant. Dans ce deuxième cas, l’employeur peut-il décider unilatéralement de limiter l’usage de cette carte ? 

1) La carte carburant, un élément essentiel de la relation de travail ?

Au même titre que le temps de travail et, en fonction du cas d’espèce, la fonction et le lieu de travail, la rémunération constitue un élément essentiel de la relation de travail. 

La carte carburant, si elle peut être utilisée à des fins privées, constitue un avantage rémunératoire et donc, en principe, un élément essentiel de la relation de travail. 

2) Le contexte économique, une marge de manœuvre pour l’employeur ?

Il existe pour l’employeur un droit, limité, de modification unilatérale des conditions du contrat de travail. Ce qu’on appelle le ius variandi. Ce droit permet, dans une certaine mesure, à l’employeur de modifier certaines conditions de travail en fonction des exigences économiques.  

Permet-il alors à l’employeur de limiter unilatéralement l’usage de la carte carburant dans le contexte actuel? En principe, ce pouvoir de l’employeur ne concerne pas les éléments essentiels de la relation de travail. Limiter l’usage de la carte carburant risque donc d’excéder les possibilités du ius variandi.

3) Quel est le risque pour l’employeur ?

Si l’on considère qu’une modification de l’avantage relatif à la carte carburant excède le ius variandi de l’employeur, il faut conclure que l’accord des travailleurs est nécessaire pour limiter son usage (et a fortiori bien sûr pour la supprimer).

Dans le cas contraire, et donc si la limite est imposée aux travailleurs unilatéralement, quel est le risque pour l’employeur ? 

En principe, une modification unilatérale d’une condition essentielle du contrat de travail peut impliquer la rupture du contrat. Le travailleur risque d’invoquer que l’employeur a modifié les conditions de travail d’une manière telle que le contrat de travail est rompu (« acte équipollent à rupture »), ce qui lui donne droit à une indemnité compensatoire de préavis (outre éventuellement des dommages et intérêts).

À noter que la nature temporaire de la modification n’est, en principe, pas de nature à exclure le risque. En effet, en principe, même temporaire, une modification unilatérale d’un élément essentiel peut entrainer un acte équipollent à rupture.  

Par contre, pour conclure à un acte équipollent à rupture, la modification unilatérale envisagée doit être importante. La Cour de cassation l’a encore rappelé dans un récent arrêt du 6 septembre 2021.

La question est dès lors de savoir si une limitation de la carte carburant est une modification importante.

La réponse peut varier au cas par cas, en fonction des nouvelles limites que l’employeur envisage de fixer. D’un autre côté, la jurisprudence a rapidement tendance à considérer comme importante, et donc inacceptable, une modification touchant à la rémunération (même en cas de petites différences de montant). 

La prudence est donc de mise. 

D’autant, qu’en tout état de cause, les travailleurs confrontés à ce type de modification, s’ils ne peuvent pas en inférer une rupture du contrat, pourraient se prévaloir d’une inexécution fautive de l’employeur et ainsi disposer d’autres alternatives comme agir en exécution forcée ou encore réclamer des dommages et intérêts.

4) Que retenir ?

La carte carburant, si elle peut être utilisée à des fins privées, constitue un avantage rémunératoire et donc, en principe, un élément essentiel de la relation de travail. 

Si les travailleurs disposent d’une carte carburant illimitée et que l’employeur envisage d’imposer une limite, la prudence est donc de mise. Le contexte économique peut permettre d’engager la discussion avec les travailleurs ou leurs représentants quant à cette limitation mais ne permet, selon nous, pas de se passer de leur accord pour l’introduire, même temporairement. 

Cette problématique à laquelle les employeurs sont confrontés est l’occasion de rappeler l’importance d’une car policy bien pensée. En effet, tout employeur qui décide, pour la première fois, d’octroyer une carte carburant peut par contre prévoir une limitation dans la car policy. D’autres clauses peuvent aussi avoir pour effet de diminuer la consommation, comme limiter l’usage de la carte au seul véhicule de société ou encore demander d’adopter une conduite « écologique ». 

 

À propos des auteures

Charline Leflot, Senior Manager & Cyrielle Delvaux, Senior Consultant chez BDO Advisory (Employment & Social security Law)

BECI Community 8 avril 2022
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