Le métro 3, c’est Forest-Evere en 20 minutes via le centre-ville. Comme la liaison Albert-Gare du Nord existe déjà en prémétro, le véritable plat de résistance est la création des 5 km d’une nouvelle ligne depuis la Gare du Nord jusqu’aux everoises terres du Ministre-Président, en passant par celles de Mme Onkelinx et de M. Clerfayt. Le point sur un projet qui suscite enthousiasmes et oppositions.
Dans les cartons depuis 50 ans, mis à l’étude en 2010, décidé en 2015 par le gouvernement bruxellois et annoncé dans la foulée pour 2025, le métro nord vient de se voir reporté à 2028. Alors qu’une opposition le voue aux gémonies, va-t-on vers un abandon du projet ?
« Pas du tout », répond Brieuc de Meeûs, le directeur général de la Stib. « Ce projet est tout à fait nécessaire : la ligne 3 va permettre à Bruxelles de faire face à l’augmentation des besoins de mobilité dans une région dont la population augmente. Les lignes de transport public existantes sont déjà saturées et ne permettent pas de répondre à cette demande croissante. Le métro 3 va permettre d’accueillir 24.400 voyageurs/h avec une fréquence de 3 min. Le projet s’intègre par ailleurs dans l’objectif du plan régional Iris 2 qui veut réduire le trafic automobile de 20 % à Bruxelles et améliorer la qualité de l’air en ville. » Il n’ignore pas que le projet soulève de sérieuses oppositions : « Des groupes de pression se font entendre et c’est leur rôle. Cela n’empêche pas que de nombreux Bruxellois sont favorables à cette nouvelle ligne, en particulier ceux qui empruntent quotidiennement l’axe Nord-Midi qui est complètement saturé. »
Le professeur Frédéric Dobruszkes, enseignant-chercheur à l’ULB-IGEAT et spécialiste de la géographie des transports, se montre sceptique : « L’impact prévu du métro nord sur la mobilité automobile est d’ores et déjà décevant puisqu’il est estimé à une diminution de 8.100 voitures par 24 h, soit une goutte d’eau au regard des presque 450.000 véhicules qui parcourent chaque jour la ville aux seules heures de pointe[1]. Et puisque l’on parle de faciliter la mobilité, notons ce paradoxe : le parcours entre le sud et le centre sera plus difficile qu’aujourd’hui pour les usagers d’Uccle et Forest, puisque seront augmentées les ruptures de charges et que sera imposé aux usagers un éloignement des arrêts, moins nombreux pour un métro. »
Quels coûts pour quels bénéfices ?
Le budget prévu n’est pas négligeable : 1.660 millions d’euros – ou 1.500 euros par Bruxellois. Est-il supportable par la Région, même avec l’aide de Beliris ? Un objectif de break-even a-t-il été calculé ? « Le plan pluriannuel d’investissement de la STIB (2015-2025), approuvé par le gouvernement bruxellois, inclut le financement de l’ensemble des travaux du projet de métro nord », assure Brieuc de Meeûs. « Ce financement est assuré pour 2/3 par la Région et 1/3 par l’État fédéral (50 millions par an pendant 10 ans) via l’accord de coopération. L’idée est précisément de ne pas faire porter par Bruxelles toute la charge d’une infrastructure qui bénéficiera aussi aux navetteurs. Quant au break-even, vous savez que la STIB est une entreprise de service public dont l’équilibre financier dépend en grande partie de la Région et que le transport public ne génère pas de bénéfices financiers ; la rentabilité du projet est à rechercher dans les bénéfices induits : qualité de l’air, réduction de la pression automobile, développement économique de la zone… »
Le directeur général de la Stib précise encore que le projet a donné lieu à une étude socio-économique par le bureau d’étude BMN[2] qui, par une analyse multicritères, a conclu au lancement du projet de métro entre Albert et Bordet. M. Dobruszkes y trouve à redire : « Le groupe d’entreprises qui a rédigé l’étude préalable sur l’opportunité socio-économique et stratégique pouvait se douter qu’il serait en charge des études ultérieures si la première étude ‘révélait’ que la solution métro était la meilleure. Il était donc de leur intérêt de recommander cette solution et d’écarter les alternatives, soit les offres de surface. On aurait souhaité des expertises indépendantes. »
Laurent Schiltz, secrétaire général de la Confédération Construction, voit aussi dans cette ligne 3 un projet très favorable à la vitalité de l’économie bruxelloise et apporte des précisions chiffrées : « À la demande de notre Fédération des grandes entreprises et des entreprises de génie civil (ADEB), la VUB a réalisé une étude visant à évaluer l’impact des investissements des grands travaux, notamment d’infrastructures, sur l’économie belge. Il y apparaît que 100 millions d’euros investis dans les infrastructures génèrent 97,68 millions de valeur ajoutée, 24,79 millions d’investissements supplémentaires, 23,09 millions de rentrées publiques et 1.304 équivalents temps-plein ! Sachant par ailleurs que plus d’un emploi sur deux dans le secteur est localisé dans la Région de Bruxelles-Capitale, on peut dire que l’effet de levier d’un euro investi dans la construction est largement supérieur à celui d’un euro investi dans n’importe quel autre secteur. »
Des travaux dont l’ampleur et la durée font peur
L’ampleur des travaux, précisément, est une autre source de réticences. On sait qu’au boulevard de Stalingrad, la perspective de sept ans de chantier pour construire la nouvelle station Constitution glace les commerçants. « Il est évident que l’on ne construit pas un métro sans faire de trou et qu’il y aura un impact », reprend M. de Meeûs. « Mais pour le minimiser, le gouvernement a opté pour la technique du tunnelier (pour la partie Bordet-Nord) qui ne nécessite pas d’ouverture de voirie, hors station. Elle est plus efficace dans des quartiers densément bâtis car elle permet d’éviter la démolition d’îlots entiers. Elle provoque peu ou pas de nuisances en surface (tassement, bruit, vibrations) en raison de sa profondeur. »
« Le choix d’œuvrer par percement de tunnel, qui semble en fait un choix préalable à toute étude, est discutable », objecte Frédéric Dobruszkes. « Les arguments avancés le sont certainement lorsqu’on oppose un travail souterrain indolore à des travaux de surface qui ‘rasent des îlots entiers’ ; c’est de la désinformation, car percer un tunnel comporte d’autres aléas et fait courir des risques à tout ce qui est au-dessus du percement. Des travaux à partir de la surface n’impliquent pas de démolitions apocalyptiques s’ils suivent le tracé des rues. Par ailleurs, le chantier requerra malgré tout beaucoup d’ouvertures de sol : sept stations de métro à construire, des cheminées d’aération à percer, l’entrée et la sortie de la machine, etc. Enfin, cela implique que le réseau et les stations seront à 30 m sous la surface : le temps d’entrée et sortie des stations rendra le métro moins attractif. »
Nouveaux modes de mobilité
« Je pense que 2 milliards d’euros seront mal dépensés (le ratio coûts/bénéfices est a priori très mauvais) et sans même nécessairement profiter aux entreprises bruxelloises ou belges de travaux publics », conclut pour sa part M. Dobruszkes. « Le projet de métro nord n’a pas été réellement comparé avec d’autres projets d’infrastructures possibles, y compris de métro, de sorte qu’un projet plus pertinent aurait pu éventuellement émerger. Il se pourrait, par exemple, qu’une extension de la ligne Simonis jusqu’à Grand-Bigard avec création d’un très grand parking à la sortie de l’autoroute E40, puisse avoir un plus grand impact sur la mobilité et sur la qualité de l’air à Bruxelles. »
Enfin, si le métro nord est effectivement livré dans dix ans, on peut se demander dans quelle mesure auront évolué entretemps les modes et usages de mobilité : vélo électrique, voitures partagées, etc. Mais pour Brieuc de Meeûs, le développement de ces moyens de transports alternatifs ne fait que prouver à quel point les besoins de mobilité sont criants à Bruxelles : « Le vélo ne résoudra pas à lui seul les problèmes de mobilité ! Je vous invite à regarder ce qui se fait à Paris pour renforcer la pertinence de notre investissement. Le Grand Paris Express, ce sera 200 km de lignes et 68 gares et à Bruxelles nous tergiversons pour 5 km de métro ! » Le Grand Paris, justement, dérape budgétairement : quel risque chez nous ? M. de Meeus l’affirme : « La Région, qui investit le plus, a mis en place via un comité de pilotage et une enveloppe hyper découpée, un système de contrôle extrêmement strict des coûts qui exclut tout dépassement budgétaire. De son côté, Beliris a budgété 50 millions par an et ne versera pas un euro en plus de cette enveloppe. »
[1] Chiffres 2001
[2] Association momentanée des entreprises THV Grontmij, Amberg engineering sa, SM Métro TPFE-Bagon et SM Van Campenhout-AREP.