Lanceurs d’alerte : directive européenne finalement transposée en droit belge

13 mars 2023 par
BECI Community

[Article invité]

La directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2017 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union (la « Directive lanceurs d’alerte ») devait être transposée par les Etats membres pour le 17 décembre 2021. La Belgique – comme de nombreux autres Etats membres – n’a pas respecté ce délai de transposition.

La Directive lanceurs d’alerte a entre-temps été transposée en droit belge pour le secteur privé, par la loi du 28 novembre 2022 sur la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l’Union ou au droit national constatées au sein d’une entité juridique du secteur privé (la « Loi lanceurs d’alerte »). La Loi lanceurs d’alerte est entrée en vigueur le 15 février 2023. Une exception s’applique pour les entités juridiques occupant de 50 à 249 travailleurs : l’obligation de mettre en place des canaux de signalement internes ne leur est applicable qu’à partir du 17 décembre 2023. Les autres dispositions de la loi (p.ex. concernant la protection des lanceurs d’alerte) leur sont néanmoins déjà applicables.

Pour la fonction publique (fédérale), la Directive lanceurs d’alerte a été transposée par une loi du 8 décembre 2022 relative aux canaux de signalement et à la protection des auteurs de signalement d’atteintes à l’intégrité dans les organismes du secteur public fédéral et au sein de la police intégrée. Cette loi est entrée en vigueur le 2 janvier 2023.

Cette contribution se limite à un examen des lignes de force de la réglementation applicable au secteur privé.

 

Pourquoi protéger les lanceurs d’alerte ?

L’objectif de la Loi lanceurs d’alerte – ainsi que de la Directive – est la protection des personnes signalant certaines violations (« lanceurs d’alerte »). Concrètement, la Loi lanceurs d’alerte oblige les entreprises à mettre en place des canaux de signalement internes et externes efficaces, qui protègent les lanceurs d’alerte contre d’éventuelles représailles.

 

Qui ?

La Loi lanceurs d’alerte s’applique aux lanceurs d’alerte qui ont reçu des informations concernant des infractions dans le contexte de leur activité professionnelle. Les travailleurs salariés ne sont pas les seuls protégés : les collaborateurs indépendants, les actionnaires, les personnes qui appartiennent à l’organe d’administration, de direction ou de surveillance d’une entreprise, les volontaires, les stagiaires (non) rémunérés ainsi que les personnes qui travaillent sous l’autorité et la surveillance d’entrepreneurs, de sous-traitants ou de fournisseurs sont également protégés. La Loi lanceurs d’alerte s’applique également aux lanceurs d’alerte dont le contrat de travail a pris fin.

 

Quelles violations ?

Le champ d’application matériel de la Directive lanceurs d’alerte était déjà large et visait entre autres les infractions en matière de marchés publics, de services financiers, de sécurité et de conformité des produits, de protection de l’environnement, de santé publique, de protection des consommateurs, de protection de la vie privée et des données à caractère personnel et de sécurisation des systèmes en réseau et d’information.

Le champ d’application matériel de la Loi lanceurs d’alerte est encore plus large, puisqu’il ajoute à cette liste la lutte contre la fraude fiscale et la fraude sociale.

Canaux de signalement internes – des obligations sur mesure pour les entreprises ?
Les principes généraux de la Loi lanceurs d’alerte sont applicables à tous les lanceurs d’alerte qui reçoivent des informations concernant des violations dans un contexte professionnel.

Cependant, seules les entreprises (entités juridiques) du secteur privé qui occupent 50 travailleurs ou plus doivent mettre en place des canaux de signalement et des procédures en vue du suivi interne des signalements, après discussion avec les partenaires sociaux et en concertation avec ceux-ci. Une exception s’applique également à une série d’entreprises, notamment celles relevant du secteur financier ou soumises à la législation anti-blanchiment. Ces entreprises doivent en tout cas mettre en place un canal de signalement interne, peu importe le nombre de travailleurs qu’elles occupent. Les autres petites entreprises ne sont pas soumises à cette obligation.

L’obligation de mettre en place des canaux de signalement interne s’applique aux entreprises occupant 250 travailleurs ou plus (ainsi qu’aux entreprises du secteur financier ou soumises à la législation anti-blanchiment) depuis le 15 février 2023.

Les entreprises qui occupent de 50 à 249 travailleurs ne devront mettre en place de tels canaux internes que pour le 17 décembre 2023. Ces entreprises bénéficieront donc d’un délai de réflexion plus long.

 

Canaux de signalement externes – à consommer avec modération ?

La Loi lanceurs d’alerte prévoit la mise en place d’autorités externes, indépendantes et autonomes, qui sont compétentes pour la réception de signalements, la fourniture d’un retour d’informations et pour assurer un suivi des signalements. Un arrêté royal du 22 janvier 2023 a désigné ces autorités. Pour effectuer un signalement, un lanceur d’alerte devra ainsi s’adresser à l’autorité compétente pour le contrôle du respect de la législation dont la violation est signalée (p.ex. SPF Finances, SPF Emploi, Travail et Concertation sociale, Banque nationale de Belgique, Autorité de protection des données, etc.). Dans ce cadre, un rôle de coordination est également confié au médiateur fédéral, qui fait par ailleurs office d’autorité compétente lorsqu’aucune autre autorité administrative ne s’estime compétente pour recevoir un signalement.

Les lanceurs d’alerte ne sont pas obligés de faire d’abord usage d’un canal de signalement interne. Ils peuvent également immédiatement faire usage d’un canal de signalement externe.

 

Mesures de protection – nécessaires, mais également complexes pour les employeurs

La Loi lanceurs d’alerte prévoit diverses mesures en vue de protéger les lanceurs d’alerte, telles qu’une obligation de confidentialité (anonymat des lanceurs d’alerte) et une interdiction des représailles contre ceux-ci. De ce fait, un lanceur d’alerte est entre autres protégé contre le licenciement et la suspension de son contrat de travail, la dégradation, l’absence de promotion, la modification des conditions de travail, les évaluations négatives, le harcèlement et la non-prolongation d’un contrat de travail temporaire.

La Loi lanceurs d’alerte prévoit également une indemnité spécifique pour les lanceurs d’alerte (travailleurs) qui sont victimes de représailles, s’élevant à minimum 18 semaines et à maximum 26 semaines de rémunération.

Pour les lanceurs d’alerte qui signalent une violation en matière de services, produits et marchés financiers ou concernant la législation anti-blanchiment, un régime spécifique s’applique. Ces travailleurs peuvent, en cas de licenciement ou de modification unilatérale des conditions de travail, solliciter leur réintégration dans un certain délai (30 jours à compter de la résiliation du contrat de travail ou la modification des conditions de travail). Si la demande de réintégration du travailleur n’est pas acceptée dans les 30 jours ou si le travailleur a choisi de ne pas solliciter sa réintégration, il peut alors prétendre à une indemnité égale à 6 mois de rémunération (ou une indemnité pour le préjudice réellement subi). La même indemnité est due lorsque la mesure de représailles ne consiste pas en un licenciement ou une modification des conditions de travail.

Ces indemnités ne peuvent pas être cumulées avec une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable sur la base de la CCT 109.

Sanctions effectives

Les infractions à la Loi lanceurs d’alerte sont recherchées, constatées et sanctionnées conformément au Code pénal social, tenant compte de sanctions du niveau le plus élevé. Un employeur qui, par exemple, néglige de mettre en place un canal de signalement interne peut se voir infliger une sanction de niveau 4, à savoir une peine de prison de 6 mois à 3 ans et d’une amende pénale de 4.800 EUR à 48.000 EUR, ou une de ces peines seulement. En l’absence de poursuites, une amende administrative de 2.400 EUR à 24.000 EUR peut être imposée.

En outre, toute entreprise, tout membre de son personnel ainsi que toute personne physique ou morale peut être sanctionnée d’une peine de prison de 6 mois à 3 ans et une amende pénale de 4.800 EUR à 48.000 EUR, ou de l’une de ces peines seulement, dans les cas suivants :

a) Entrave ou tentative d’entrave à un signalement ;
b) Représailles contre les personnes protégées ;
c) Procédures abusives concernant les personnes protégées ;
d) Manquement à l’obligation de préserver la confidentialité des auteurs du signalement.

 

 

à propos des auteurs

Julien Hick, Partner AKD Benelux Law firm & Heleen Franco, Senior Associate AKD Benelux Law firm

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BECI Community 13 mars 2023
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