Le succès du Green Lab le classait parmi les bars à cocktails en vogue à Bruxelles. Pourtant, 10 ans après son ouverture, il ferme définitivement ses portes.
L’Avenue Louise perd un de ses commerces phares. Alors que les magazines lifestyle le classaient parmi les bars à cocktails les plus branchés de Bruxelles, le Green Lab tire sa révérence dix ans pile après son ouverture. En 2014, Sophie et Leslie s’installaient au coin de l’arrêt Legrand, à Ixelles, et inauguraient ce qui allait devenir l’endroit préféré des amateurs de gin. Aujourd’hui, entre deux cartons de déménagement, l’une des copropriétaires se confie : « On aurait aimé que le bar puisse continuer de vivre, ça nous fend le cœur de devoir fermer. »
Pour comprendre comment elles en sont arrivées là, il faut remonter le temps jusqu’en 2020. À cet instant, la crise du Covid-19 bouscule le monde entier, et le secteur de l’Horeca se confronte aux difficultés économiques. Le Green Lab n’y échappe pas. Comment continuer à payer le loyer commercial, lorsque les activités ne tournent plus et que le chiffre d’affaires chute ? Sophie, Leslie et le propriétaire du bien concluent alors un accord écrit qui stipule que le paiement du loyer serait suspendu jusqu’à la réouverture du bar (qui avait fermé suite aux restrictions sanitaires liées au Covid-19). Pourtant, malgré le contrat, elles reçoivent une mise en demeure de la part du propriétaire. En 2021, elles contre-attaquent. C’est parti pour trois ans de procès.
Le voisin qui frappe à la porte
« Un jour, alors que nous devions nous rencontrer avec le propriétaire, il est arrivé avec notre voisin du dessus. Ce même voisin nous annonce qu’il vient de racheter le bâtiment et qu’il allait nous expulser dès qu’il deviendrait officiellement propriétaire. Du jour au lendemain, tout s’écroule. Alors que nous étions déjà en procès, nous apprenons que notre (ex)propriétaire vend le bâtiment, sans nous en avoir parlé, et que notre contrat de bail ne sera pas renouvelé », raconte Sophie.
« Du jour au lendemain, tout s’écroule »
- Sophie
À son arrivée en 2017, ce voisin,
détenteur de nombreux biens immobiliers, venait d’acheter deux étages du
bâtiment dans lequel se situait le Green Lab. Il avait installé des
échafaudages sur toute la façade du bar. « On avait l'air d'être fermés. La
plupart des gens du quartier le pensaient en tout cas, à cause de cet échafaudage.
Nous étions en train de mourir en dessous », déplore la patronne du bar.
Les subtilités du bail commercial
« Notre avocat nous a expliqué que nous étions des victimes dans cette histoire et que nous avions le droit de nous défendre, et que nos droits de locataires étaient bafoués », relate Sophie. Pour autant, l’ancien propriétaire était-il légalement autorisé à vendre le bien immobilier sans consulter les locataires ? Frédéric Dechamps, avocat au Barreau de Bruxelles depuis 15 ans, explique qu’il existe deux cas de figure : « Dans les baux commerciaux, il arrive qu’il y ait une clause d’expulsion qui autorise le nouveau propriétaire à expulser les locataires, moyennant des indemnités. Dans d’autres cas, cette clause n’est pas prévue, et le nouveau propriétaire est tenu de respecter le contrat de bail. » En revanche, le propriétaire peut tout à fait vendre l’immeuble, sans prévenir ses locataires.
Toutefois, « le bail commercial est une matière assez subtile », rappelle Frédéric Dechamps. En général, il est conclu pour une durée minimale de neuf ans (excepté pour les baux commerciaux de courte durée qui peuvent être égaux ou inférieurs à un an, d’après le site d’information juridique belge, notaire.be. C’est le cas par exemple des Pop-Up Stores). Entre le 18ème et le 15ème mois avant la fin du bail, le preneur (le locataire) peut demander à ce qu’il soit renouvelé. Néanmoins, le bailleur peut se réserver le droit de refuser, sous quelques modalités légales précises « par exemple, s’il souhaite occuper personnellement le bien, modifier les conditions du contrat ou encore augmenter le loyer », développe l’avocat. L’expulsion à la fin du contrat de bail est fréquente, et l’affaire du Green Lab est loin d’être un cas isolé.
Les accords qui se répandent
La plupart des expulsions sont d’ailleurs liées à des non-paiements de loyers à la suite de la crise sanitaire du Covid-19, a observé Frédéric Dechamps. Face à cet événement imprévisible, les bailleurs et preneurs commerciaux ont dû s’adapter. « Au moment du Covid, plusieurs solutions ont été mises en place pour donner un ballon d'oxygène, et il y a eu énormément d’accords entre les parties qui ont été pris pour diminuer, suspendre ou réduire le loyer commercial », explique-t-il. Cependant, le propriétaire ne peut pas revenir sur sa parole.
Pourtant, malgré l’accord écrit entre les gérantes du Green Lab et le propriétaire du lieu, comment expliquer la mise en demeure ? « C'est très curieux, car le juge de paix est normalement tenu de respecter un accord écrit », s’interroge Frédéric Dechamps.
En cas de conflit entre les deux parties, il préconise de d’abord tenter de trouver un terrain d’entente, avant d’entamer une procédure judiciaire. Pour lui, il faut privilégier ce qu’on appelle « les modes alternatifs de résolutions de conflits », tels que la médiation, la conciliation ou encore la négociation. « Il vaut mieux un mauvais accord qu'un bon procès. Cet adage prend vraiment tout son sens aujourd’hui, surtout lorsqu’une des parties n’est pas dans une position spécialement favorable au niveau juridique », conseille l’avocat associé du cabinet Lex4u.
Et après…
Trois ans après le début du procès (et près de 30.000 euros de dettes), Sophie et Leslie rendent les armes. « J’avais vraiment confiance en la justice, maintenant, ce n’est plus le cas. », confie l’une d’entre elles.
Malgré le goût amer que leur ont laissé ces péripéties, elles tentent de garder une onde positive. Tout le mois d’avril, Sophie, Leslie, les employés et les habitués du bar ont rendu hommage au Green Lab. Derniers concerts, derniers cocktails et dernier toast, avant de fermer définitivement ses portes.
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