Au bout du Research Park, à Zellik, l’imposant bâtiment blanc qui abritait la régie publicitaire de Roularta, les bureaux sont désormais vides. Le groupe de presse a décidé fin 2020 de le vendre pour réunir une grande partie de son personnel à Evere, où se trouvaient déjà les rédactions. Un exemple de « disruption » des bureaux ? Entretien avec Philippe Belpaire, General Manager de la régie publicitaire.
Propos recueillis par Emmanuel Robert
L’abandon du siège de Zellik, qui était l’un des emblèmes du groupe Roularta, a été une surprise pour beaucoup d’observateurs. Est-ce la conséquence du coronavirus et du télétravail ? Ou bien cette décision était-elle mûrie de plus longue date ?
Un peu des deux. C’est une idée qui circulait déjà depuis un certain temps, en fonction de l’évolution de notre business. Il faut savoir que Roularta comptait jusqu’à présent trois sites principaux : le siège de Roulers, qui abrite les services centraux et l’imprimerie ; Zellik, où se trouvait la régie, et le Brussels Media Center (BMC), à Evere, où travaillent les rédactions de Knack, Trends-Tendances, Le Vif-L’Express, Femmes d’Aujourd’hui/Libelle, Flair, Sport Foot Magazine et tous les titres bien connus du public belge, ainsi que les équipes de marketing.
Comme c’est le cas, je crois, chez tous les éditeurs de presse, notre organisation évoluait déjà vers une collaboration de plus en plus étroite entre ces différents départements. Et la séparation physique entre les sièges de Zellik et d’Evere gênait cette évolution, même s’ils n’étaient distants que de quelques kilomètres. Théoriquement, le trajet ne prenait qu’une vingtaine de minutes par le Ring, mais dans les faits, c’était parfois plus d’une heure ! Je vous laisse imaginer les difficultés pour organiser des réunions… Disons que la crise du covid-19 a donné un gros coup de pouce à la décision de déménager, en démontrant qu’on n’avait plus forcément besoin d’autant de surface de bureaux. Je pense que c’est une très bonne décision. D’un point de vue opérationnel, on se trouve à présent tous sous le même toit ; la majorité des collègues concernés s’en réjouissent. Et bien entendu, c’est aussi un exercice de bonne gestion, parce qu’on supprime les coûts d’un bâtiment.
S’il fallait faire un choix, pourquoi centraliser à Evere plutôt qu’à Zellik ?
Pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’à Evere, il restait de la place pour nos collaborateurs. Ensuite, le bâtiment de Zellik, même s’il n’a qu’une trentaine d’années et qu’il reste splendide, n’était plus adapté : chacun y avait son bureau personnel et la plupart étaient surdimensionnés – je pense que, dans le mien, on aurait pu faire la fête à 15 ou 20 personnes. Evere était plus facile à aménager. Et puis, il y a la situation : à Zellik, on est en Flandre ; à Evere, on est à Bruxelles. C’est symbolique, mais cela a son importance, surtout pour les rédactions.
Cela signifie que Roularta réduit la surface totale de ses bureaux. Y a-t-il suffisamment de place pour tout le monde à Evere ? Et comment allez-vous vous organiser ?
Ce déménagement s’inscrit naturellement dans les ‘New Ways of Working’. À présent, on travaille en ‘flexwork’ : la plupart des collaborateurs de la régie n’ont plus de bureau fixe et ne viennent plus systématiquement au bureau tous les jours. Au total, nous devions reloger une septantaine de collaborateurs de Zellik au BMC, où nous avons aménagé une cinquantaine de nouveaux postes de travail, soit un ratio de 70 % d’occupation. Cela reste très raisonnable, parce que tout le monde ne vient pas au bureau tous les jours. Nous avons changé nos modes de travail, en instaurant une possibilité de télétravail pour tout le monde, y compris pour les collaborateurs qui ne se déplacent pas.
À cela s’ajoute encore l’option de travailler occasionnellement dans les bureaux régionaux que Roularta possède à Gand, à Anvers, dans le Limbourg, etc. C’est d’ailleurs mon propre cas : je travaille régulièrement à domicile, mais aussi dans les bureaux de Gand, qui sont plus proches de chez moi. En pratique, pour les six équipes qui composent la régie, il revient à chaque responsable d’organiser le travail à son niveau : c’est à lui de décider si ses collaborateurs doivent ou non venir au bureau tel ou tel jour, par exemple pour une réunion de brainstorming en présentiel.
La seule condition, c’est que la collaboration entre collègues reste parfaitement fluide et que le service reste optimal pour les clients. Et cela fonctionne très bien : chacune des équipes a ses propres besoins, son propre mode de fonctionnement en fonction de ses missions, et c’est ce que la direction de Roularta a reconnu en leur donnant l’autonomie nécessaire pour s’organiser. Ensuite, c’est au chef d’équipe de faire le nécessaire pour maintenir la cohésion, donc trouver le bon équilibre et maintenir des contacts réguliers avec ses collaborateurs, que soit en virtuel ou en présentiel. C’est très important.
Pour une entreprise d’origine familiale, qui possède une réputation plutôt conservatrice, cela ressemble à une révolution culturelle.
C’est un grand changement, en effet, et c’est surtout une belle preuve de confiance. À cet égard, le confinement a démontré que cela pouvait fonctionner et c’est probablement ce qui a définitivement convaincu la direction. Malgré les difficultés, on est parvenus à s’organiser sans couacs. Je peux affirmer que, pendant la pandémie, les clients ont bénéficié du même service qu’avant, avec le même professionnalisme, même si tout le monde travaillait à distance. Et au fond, c’est tout ce qui compte.
C’est d’ailleurs la même chose pour les journalistes : peu importe l’endroit où ils travaillent, du moment qu’ils fournissent des articles qualitatifs. Je suis très heureux que la direction de Roularta l’ait compris et qu’elle ait adopté cette vision.
Il y aura donc moins de postes individuels à Evere, mais comment seront aménagés les espaces collectifs ?
Le but, c’est de créer des espaces plus conviviaux où les gens se sentent bien et où ils puissent aussi profiter d’un moment de détente. À l’intérieur du bâtiment, on a créé des espaces pour jouer au tennis de table, au kicker-football, on va aussi installer un billard… Autant de choses qui n’existaient pas avant l’épidémie de coronavirus, où tout était très fonctionnel. Il y aura aussi des espaces plus calmes, plus zen. À l’extérieur, il y a déjà une belle terrasse et notre intention est d’aménager aussi un jardin.
On attache désormais beaucoup plus d’importance au bien-être des collaborateurs, non seulement pour que tout le monde se sente bien au bureau, mais aussi parce que nous sommes persuadés que cela contribue à l’implication et aux résultats des équipes. Bien sûr, nous n’avons rien inventé ; les GAFA ont montré la voie depuis longtemps, mais je pense que, désormais, et un peu grâce au covid-19, ce mode de travail 2.0 a convaincu la plupart des entreprises belges.
Pour autant, est-ce que les collaborateurs de Roularta ont envie de revenir au bureau après le confinement ?
Je n’ai aucun doute à ce sujet. Je crois que, si on organisait aujourd’hui une enquête parmi les employés de la Régie, tous seraient heureux de revenir. Au niveau de l’entreprise, on s’est efforcés de préserver l’esprit d’équipe pendant le confinement, en organisant par exemple des apéros en ligne tous les mois, sur des thèmes chaque fois différents. Et je pense que nous sommes parvenus à maintenir la culture d’entreprise de Roularta, qui est très entrepreneuriale.
Donc, ils sont très contents de revenir. Bien entendu, on a pu mesurer les avantages du télétravail, moi le premier. J’ai vécu un an et demi en télétravail quasi-permanent et aujourd’hui, je me demande comment j’ai pu perdre une heure et demie dans les embouteillages, tous les jours pendant trente ans, pour venir à Zellik. C’est incroyable, en fait ! À présent, je commence à travailler chez moi le matin, je participe par exemple à une visioconférence, et je pars un peu plus tard vers Bruxelles, quand les embouteillages se résorbent. C’est beaucoup plus décontracté.
Et comme je ne vais plus tous les jours à Bruxelles, je fais en sorte de concentrer mes rendez-vous quand j’y vais, et je gagne en efficacité. Je suis persuadé qu’on va tirer des enseignements positifs de cette crise sanitaire et que nous allons les intégrer dans ce fameux mode de travail 2.0. C’est pour ça aussi que je crois beaucoup dans ce modèle hybride qui associe la présence au bureau et le travail à distance. Je pense que c’est vraiment la meilleure formule, du moins dans nos métiers.
Cet article fait suite au projet « Work’n Roll – Où vont les bureaux ? », un livre d’Edouard Cambier, en collaboration avec Emmanuel Robert et Jean de Renesse, sur l’avenir du travail et des bureaux après l’épidémie de covid-19. La réflexion se poursuit sur le site web du Work’n Roll.
Les auteurs
Emmanuel Robert, Conseiller en communication & plume privée & Philippe Belpaire, General Manager chez Roularta Media