L'intelligence artificielle dans le processus de recrutement

16 mars 2021 par
BECI Community

[article invité]

L’intelligence artificielle – c’est-à-dire l’ensemble des systèmes qui font preuve d’un comportement intelligent en analysant leur environnement et en prenant des mesures avec un certain degré d’autonomie pour atteindre des objectifs spécifiques – fait déjà partie de notre quotidien dans de nombreux domaines, au point d’être considérée par la Commission européenne comme l’une des technologies les plus stratégiques du 21ème siècle (1).

Appliquée au recrutement, l’intelligence artificielle (« IA ») est déjà une réalité pour de nombreuses entreprises (2) et même une nécessité en raison de la crise sanitaire actuelle qui impose la limitation des contacts sociaux. L’IA suscite également de nombreuses craintes liées aux risques de discrimination et à l’opacité de ses méthodes.

Qu’en est-il en pratique et quel est le cadre normatif applicable?

En pratique :

Actuellement, les solutions utilisant l’IA (sous la forme de logiciels, algorithmes, tests automatisés, etc.) se concentrent surtout sur les premières phases du recrutement: le sourcing, le matching et le scoring des profils. La finalisation du processus de recrutement reste en général effectuée par le recruteur en personne qui peut ainsi se recentrer sur les tâches à plus forte valeur ajoutée. Mais les solutions utilisant l’intelligence artificielle pourraient déjà aller beaucoup plus loin: anticiper la mobilité future d’un travailleur, analyser la présence des candidats sur les réseaux sociaux, voire mener des entretiens par téléphone ou vidéo au moyen de chatbots (programmes capables de communiquer avec un humain). Sur un autre terrain, les institutions de sécurité sociale et d’inspection du travail seraient susceptibles elles-aussi de recourir à l’IA en vue de détecter les fraudes (3).

Quels sont les avantages ?

· L’IA permet un gain de temps et d’argent lors des processus de recrutement en réalisant les phases chronophages, fastidieuses et répétitives, telles que le tri des CV, la pré-qualification des profils, les réponses à des questions simples et les tests psychométriques, qui représentent environ 80% du temps de travail du recruteur.

· Les outils d’IA conviennent particulièrement à des grandes entreprises dans lesquels de forts volumes de candidatures sont reçus. Certains secteurs sont donc plus concernés: banque, assurance, pharmaceutique, grande distribution.

· Les recruteurs peuvent se concentrer sur la recherche directe du bon profil. Cette meilleure réactivité profite également aux candidat-e-s.

Et les inconvénients ?

· Les solutions IA présente un potentiel discriminatoire en raison des biais résultant du type de données injectées dans les algorithmes.

· Le recrutement basé sur l’IA pourrait entraîner un risque d’uniformisation des profils dans l’entreprise, sans cesse à la recherche du « candidat idéal », avec pour conséquence une réduction de la capacité d’adaptation de l’entreprise face au changement.

· L’IA reste peu indiquée pour le recrutement de profils cadres, stratégiques, les fonctions requérant une expertise et une expérience particulières, ainsi que pour évaluer les soft-skills des candidats.

Existe-t-il un cadre normatif à l’utilisation des solutions IA dans le recrutement ?

  • La réponse est oui. Les dispositions du Règlement général sur la protection des données (4) (RGPD) s’appliquent au profilage et à la prise de décision automatisée. Ainsi:

– Seules les données à caractère personnel strictement nécessaires à la sélection des candidats peuvent être collectées et enregistrées.

– Il existe en principe une interdiction générale de prendre des décisions individuelles produisant des effets juridiques fondées exclusivement sur un traitement automatisé.

Par exemple : il est en principe interdit d’écarter un candidat d’un poste à pourvoir sur la seule base d’un traitement automatisé.

– Mais cette interdiction générale connaît des exceptions: notamment lorsqu’un tel traitement automatisé a fait l’objet d’un consentement explicite du candidat ou est nécessaire à la conclusion ou à l’exécution d’un contrat:

Par exemple: une entreprise qui reçoit un très grand nombre de candidatures peut considérer qu’il n’est pas possible d’identifier les candidats appropriés sans utiliser d’abord des moyens entièrement automatisés pour éliminer les candidatures non pertinentes.(5)

– En tous les cas: le candidat a le droit d’obtenir une intervention humaine de la part du responsable du traitement dans le processus de recrutement, d’exprimer son point de vue et de contester la décision.

– Attention aussi à l’obligation d’information: les responsables du traitement doivent fournir aux candidats des informations spécifiques et facilement accessibles sur le profilage et la prise de décision automatisée.

– Les responsables du traitement veilleront également à réaliser une analyse d’impact préalable relative à la protection des données.

  • L’intelligence artificielle a récemment fait l’objet d’un livre blanc de la Commission européenne (6). La Commission européenne y souligne que l’utilisation d’applications d’IA dans les procédures de recrutement et dans des situations ayant une incidence sur les droits des travailleurs serait toujours considérée comme étant « à haut risque ».
  • La CCT n°38 (7) concernant le recrutement et la sélection des travailleurs prévoit également une série d’exigences en termes d’information du candidat, du respect de la vie privée, du traitement confidentiel des données.

En conclusion

L’IA permet un gain de temps dans les premières phases du processus de recrutement, et apparaît comme particulièrement adaptée au contexte de la crise sanitaire actuelle qui impose une limitation des contacts sociaux. La sélection finale des candidats continuera toutefois d’incomber aux recruteurs. Les employeurs devront être particulièrement attentifs aux différentes obligations en matière de traitement des données personnelles, de transparence et d’information, et de prévention de la discrimination dans le recrutement des candidats.

 

(1) L’intelligence artificielle pour l’Europe, COM (2018) 237, 25 avril 2018.

(2) Etat des lieux et prospective: l’IA dans le recrutement, APEC, Paris, septembre 2020.

(3) Avis n° 2.182 du Conseil National du Travail, 27 octobre 2020.

(4) Règlement (UE) du Parlement européen et du conseil du 27 avril 2016.

(5) Lignes directrices relatives à la prise de décision individuelle automatisée et au profilage aux fons du règlement (UE) 2016/679, Groupe de travail « article 29 » sur la protection des données, WP251, 6 février 2018.

(6) Livre blanc: intelligence artificielle, COM(2020) 65, 19 février 2020.

(7) Convention collective de travail n° 38 du 6 décembre 1983 concernant le recrutement et la sélection de travailleurs.

 

 

Thierry Viérin, Partner chez Osborne Clarke & Johan Collard, Associate chez Osborne Clarke

 



BECI Community 16 mars 2021
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