Au cœur des réunions de management, la digitalisation divise. La majorité des entreprises bruxelloises ont déjà un pied dans le numérique, mais pas complètement. En cause notamment : le coût et le manque de ressources humaines.
Numérisation. Le terme est tellement mis à toutes les sauces qu’il est parfois difficile de comprendre ce dont on parle. Pour une entreprise, il s’agit autant de la mise en place d’un système de facturation électronique que de la centralisation des données ou de l’implémentation d’un système d’intelligence artificielle.
« De manière générale, il s’agit de la mise en œuvre des technologies digitales radicalement différentes de ce qui était mis en place voici vingt-cinq ans », résume Bernard De Cannière, CEO d’Audaxis, société qui propose des solutions digitales aux entreprises, et responsable à Solvay d’une nouvelle formation en transformation digitale. Malgré le caractère très global du mot « digitalisation », des vérités s’imposent : que vous soyez petit commerçant, responsable d’une grande papeterie ou gérant d’une compagnie de taxis, vous devez envisager d’une manière ou d’une autre la numérisation. Ne pas le faire peut vous pousser à mettre la clé sous le paillasson ! Premier constat, plutôt optimiste : un pan de la digitalisation a déjà été opéré par bon nombre d’entreprises bruxelloises. Il concerne généralement le volet ‘paperless’, notamment l’envoi de factures par mail plutôt que par la poste ou encore la mise en place d’un système d’inscription en ligne plutôt que sur bulletin papier.
L’autre constat, plus pessimiste, est qu’une entreprise, de quelque nature soit-elle, doit parvenir à prendre le train en marche dans un contexte assez concurrentiel… et mondial. Mais quelles sont les priorités en matière de digitalisation ? Grégory Cosman, consultant chez Pyco Group, spécialiste en changement digital, dégage trois tendances : « Premièrement, la mise en place des technologies destinées au téléphone mobile ; deuxièmement, tout ce qui est lié aux datas. Troisièmement, la robotisation. »
Une entreprise de taille moyenne appréhendera mieux la numérisation
Mais pourquoi la numérisation est-elle si complexe à appréhender ? « D’abord, la digitalisation englobe des centaines de métiers différents », reprend Bernard De Cannière. « Une personne qui connaît la blockchain ne connaît pas le domaine des objets connectés, et inversement. Il est donc compliqué de trouver les bonnes personnes et de savoir par quel bout commencer. Deuxièmement, les codes des entreprises occidentales, où le management est généralement sensé rassurer, sont complètement chamboulés par la digitalisation. Nous ne sommes plus face à des problèmes techniques ou informatiques, il y a un vrai défi d’innovation. »
Une table ronde menée fin septembre par Beci, qui réunissait une douzaine de responsables d’entreprises, a permis de constater que les difficultés de la digitalisation sont fréquemment liées au management, souvent peu enclin à entreprendre une forme de numérisation si ce rôle s’écarte de sa mission première. Autre constat de cette table ronde, les entreprises publiques sont plus souvent sur la réserve, faute de ressources financières suffisantes allouées à la digitalisation. La mentalité est différente selon la taille et la structure de l’entreprise et « l’agilité » est clairement le maître mot. Les entreprises de taille moyenne, entre 1000 et 2000 employés, seraient les plus ouvertes au changement. Les sociétés les moins impactées par la numérisation seraient quant à elle les petites entreprises, essentiellement dans le secteur immobilier, les services et l’horeca. D’autres secteurs, notamment le domaine médical, sont confrontés à de plus gros défis.
« Dans le secteur des soins de santé, le but ultime de la digitalisation est premièrement de faire participer le patient dans son trajet de soin, et deuxièmement de rassembler des informations pour aider les décisions cliniques », évoque Vic De Corte, directrice de la Clinique Saint-Jean. « Nous avons déjà opéré tout le volet dématérialisation et centralisation des données. Nous cherchons maintenant à mieux accompagner le patient dans son trajet de soin. Les possibilités sont nombreuses. Cela peut par exemple se concrétiser par la mise en place d’un système de contrôle à distance du patient, depuis son domicile. »
1600 euros par jour pour un développeur
Étonnamment, selon nos experts, l’un des plus gros défis ne résiderait pas dans la technologie elle-même, mais plutôt dans le choix de la technologie et dans les ressources humaines nécessaires au déploiement. « Une entreprise qui veut passer vers une forme de numérisation n’en a souvent pas les ressources en interne », avance Grégory Cosman (Pyco Group). « Aujourd’hui, une vraie guerre des talents digitaux règne en Europe, aussi bien dans le domaine du business digital que de la chaîne des valeurs. C’est bien de se lancer dans l’e-commerce, mais il faut déjà voir si on trouve la main d’œuvre nécessaire. En Belgique, très peu d’écoles ou d’universités forment les talents digitaux. Il existe notamment l’École 19 mais le pouvoir public devrait développer d’autres écoles dans ce style. La génération Y ou Z doit entraîner cette évolution des entreprises. »
Pour bénéficier de bonnes ressources humaines, il faut débloquer les moyens. Les entreprises doivent ainsi se tourner vers des consultants externes, dont certains coûtent jusqu’à 1600 euros par jour. « Pour passer à une vraie forme de digitalisation, il est nécessaire de faire des investissements plus importants que ne le font les entreprises actuellement », estime Bernard De Cannière. « Je remarque que les demandes des entreprises de taille moyenne n’ont fondamentalement pas changé. Elles implantent des logiciels ERP et mettent en place un système de facturation électronique. C’est essentiel, mais on cela ne relève pas d’une transformation digitale profonde. »
Combien coûte vraiment la digitalisation ? Impossible de le dire. Cela varie, de quelques milliers d’euros pour l’achat d’un programme de gestion à quelques millions d’euros pour des changements globaux. « Pour l’hôpital Saint-Jean, le budget tourne autour d’une dizaine de millions d’euros sur plusieurs années », avance Vic De Corte. « Le budget n’a pas été finalisé, il est donc difficile d’être plus précis. Cette numérisation doit nous apporter un rendement. » Pour rassurer certains entrepreneurs, notons que la digitalisation peut se faire en douceur, il faut juste savoir où placer les priorités.
5 conseils pour réussir sa digitalisation
Bernard De Cannière, CEO d’Audaxis et professeur en transformation digitale à Solvay, livre cinq bonnes pratiques pour réussir sa digitalisation :
- Comprendre ce dont on parle : informez-vous pour comprendre la digitalisation, les différentes étapes et les possibilités dans votre secteur d’activité. La blockchain (technologie de stockage et transmission d’information), terme fort à la mode, n’est pas indispensable dans de nombreux secteurs.
- Prendre position : une compagnie de taxis, une entreprise de travaux publics ou une banque ne vont pas adopter les mêmes technologies. Dans son propre secteur, il faut choisir d’être pionnier ou accepter d’être un suiveur.
- Maîtriser ses processus internes : si une entreprise n’a pas une bonne vision du planning, du respect des délais ou des coûts, passer par la digitalisation présente un risque. L’entreprise doit d’abord avoir une ossature stable.
- Agir sur trois niveaux : la digitalisation est utile sur trois niveaux : transformer l’expérience client, transformer le processus métier ou changer de business model. Il faut pouvoir déterminer à quel niveau est destinée la digitalisation.
- S’inspirer : il faut regarder autour de soi, au niveau local ou international, pour éventuellement s’inspirer de technologies, même dans un autre secteur d’activité. On peut aménager la signalisation dans un hôpital en s’inspirant d’une gare, par exemple.
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