Plateformes digitales : un domaine en pleine croissance
L’économie de plateforme digitale a connu un développement croissant ces dernières années, si bien qu’elle ne se limite plus aux traditionnels secteurs du transport de personnes et de la livraison de choses, mais touche désormais des secteurs aussi variés que la consultance, la sélection et le recrutement, voire l’Horeca et la construction, dans la mesure où ces secteurs font appel à la gestion algorithmique des ressources humaines.
En Belgique, les dernières estimations font état de 80.000 à 90.000 travailleurs de plateformes numériques au cours de l’année écoulée. À l’échelle de l’Union européenne, ils auraient été 28,3 millions en 2022.
Insécurité juridique
Ce développement s’est aussi accompagné d’une insécurité juridique concernant la nature de la relation de travail des travailleurs de plateformes. Ces travailleurs sont-ils indépendants ou sous contrat de travail ? À l’arrière-plan, l’enjeu est celui de la protection offerte par le droit du travail et de la sécurité sociale.
Or, les dispositions législatives et réglementaires sur base desquelles la relation de travail est qualifiée sont généralement mal adaptées à ces nouvelles formes de travail, ce qui conduit à une insécurité juridique.
Rien qu’en Belgique, de nombreuses décisions, parfois en sens divers, ont été rendues tant par la Commission administrative de règlement de la relation de travail que par les cours et tribunaux du travail, notamment dans les retentissants jugements Deliveroo et Uber.
Une directive européenne en préparation
La situation est en passe de changer. Au niveau de l’Union européenne, une proposition de directive visant à sécuriser juridiquement la qualification de la relation de travail dans le secteur des plateformes numériques a été validée par le Conseil européen le 12 juin dernier, aux termes de longs débats. Cette directive prévoit une présomption réfragable de contrat de travail si au moins trois critères sont remplis sur une liste de sept critères, tels que le plafonnement de la rémunération, les restrictions à l’organisation du travail ou l’apparence et la conduite des travailleurs.
Si la présomption est établie, il reviendra à la plateforme numérique de démontrer qu’il n’existe pas de relation de travail conformément à la législation et à la pratique nationales. La gestion algorithmique des ressources humaines est aussi prise en compte par ce nouveau texte qui veut la rendre plus transparente.
Mais ces nouvelles règles doivent encore franchir le cap des négociations avec le Parlement européen avant d’être adoptées.
De nouvelles règles déjà applicables en Belgique
De son côté, la Belgique n’a pas attendu l’entrée en vigueur de cette directive pour se doter,dans le sillage du « Deal pour l’emploi », de son propre mécanisme de présomption adapté aux travailleurs des plateformes numériques.
Depuis le 1er janvier 2023, ce nouveau mécanisme basé sur une liste de huit critères, dont certains inspirés de la proposition de directive susmentionnée, est entré en vigueur. Si au moins trois de ces huit critères ou deux des cinq derniers critères de la liste sont remplis, la présomption (réfragable) de contrat de travail est établie.
Par ailleurs, l’opérateur de la plateforme doit désormais souscrire une assurance obligatoire contre les accidents du travail pour tous les travailleurs, même si ceux-ci sont indépendants (les modalités précises doivent encore être mises en œuvre par arrêté royal).
Ces nouvelles règles (actuelles et futures) sont susceptibles d’avoir un impact non seulement sur les traditionnels secteurs des transports de personnes et de choses (chauffeurs, livreurs, etc.) mais également, de manière inattendue, sur de nombreux autres secteurs dans la mesure où la gestion algorithmique des ressources humaines s’y développe à grande vitesse (par exemple les sociétés d’intérim, de consultance, de recrutement et sélection, de la construction, du transport de personnes et de choses, ainsi que de l’Horeca).
Le risque d’une requalification de travail indépendante en contrat de travail, susceptible d’entraîner de lourdes conséquences financières et juridiques, s’en trouve accru.
Si vous recourez à des travailleurs indépendants et utilisez une gestion algorithmique des ressources humaines, vous devrez rester attentifs à ces nouveaux développements aux niveaux belge et européen.
Travail de plateforme : les changements arriventMercredi 20 septembre 2023Ce séminaire se déroulera en ligne, de 11h à 12h. |
À propos des auteurs
Julien Verbeke, Associate at Osborne Clarke & Johan Collard, Senior associate at Osborne Clarke
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