Scale-up : quand « Bruxelles » rime avec « croissance exponentielle »

7 mars 2025 par
Philippe Beco

Les ingrédients pour l’émergence de sociétés de croissance se mettent progressivement en place dans la capitale.

Longtemps dans notre pays, l’enjeu des sociétés de croissance est resté sous le radar des structures d’aide à l’entrepreneuriat, plutôt focalisées sur les start-ups. Un peu comme si, une fois les maladies d’enfance passées et le business model établi, le passage à la vitesse supérieure n’était plus un sujet. Et pourtant… Après avoir sécurisé les capitaux d’amorçage puis les premiers financements permettant le développement de son produit ou service, les jalons possibles vers un plus grand succès restent nombreux pour l’entrepreneur·e ambitieux·se. Mais lorsque la réussite est au rendez-vous, son business devient alors lui même un puissant stimulant à l'esprit d'entreprendre et à l'innovation pour tous les acteurs de son écosystème et de sa région. Avant d’en arriver là, les défis sont nombreux.

Etendre son marché en Belgique ou plus loin

Il s’agit, pour commencer de disposer d’une réserve de marché auprès de laquelle votre solution crée de la valeur par son caractère différentiant et son potentiel de développement. Jean-Louis Van Houwe est CEO de Monizze. La fintech est pionnière de la digitalisation des chèques repas et autres avantages en Belgique. De deux employés en 2011, elle est passée aujourd’hui à 140. « Nous avons permis de diviser les coûts de services par 3 pour les entreprises, par 10 pour les marchands en même temps que de multiplier le nombre de bénéficiaires par 3. Aujourd’hui, notre part de marché est de 35% en termes de nombre d’employeurs servis », confie le fondateur, qui explique comment la simplicité de sa solution et son accessibilité aux entreprises de toutes tailles a permis d’élargir considérablement le marché.

Souvent, passer à l’échelle nécessite aussi de regarder plus loin que sa région ou son pays. Une question de taille de marché, mais aussi d’ambition. « Scaler requiert énormément de temps et d’énergie. C’est impossible sans une bonne dose de drive et de leadership », témoigne Cédric Pierrard. Aujourd’hui CEO d’Haulogy, une société qui développe des logiciels pour le secteur énergétique, il a précédemment fait d’ Efficy un leader européen du CRM, comptant plus de 500 employé·es.

L’entrepreneur explique n’avoir rencontré parmi les autres scalers qu’il connaît, que des personnes à l’ambition assumée, à la motivation inébranlable et qui ont « bossé comme des fous ». Jean-Louis Van Houwe décèle pour sa part des obstacles à l’internationalisation qui sont… belgo-belges. « Avant de regarder vers l’étranger, on peut parfois être épuisé par ce marché à 4 langues et d’une complexité folle, avec des administrations qui donnent parfois l’impression de travailler contre vous », déplore t-il. « Scaler, c’est aussi apprendre à ne pas se décourager » confie pour sa part Alain Heureux, expert en entrepreneuriat, responsable des soirées « Scale-Up » chez Beci et qui a accompagné des dizaines d’entreprises dans leurs parcours.

Attirer et conserver les talents

Autre nécessité, celle de pouvoir s’appuyer sur les épaules d’une équipe solide. Peut-être plus que n’importe quelle autre, une société en croissance rapide doit pouvoir compter sur sa capacité à attirer et conserver ses talents. « C’est certainement vrai dans le secteur des services digitaux – le capital est avant tout humain » insiste Cedric Pierrard. « La vie d’une société en croissance est faite de nombreuses arrivées mais aussi de départs », poursuit-il.

Il faut donc pouvoir disposer d’un « noyau dur » humain stable. On ne parle pas ici forcément de l’équipe de management, laquelle est aussi appelée à se renouveler en fonction du stade de développement. « Des nouveaux membres de direction chargés de scaler doivent pouvoir s’appuyer sur des équipes expérimentées et qui connaissent bien l’entreprise et le produit », explique encore le fondateur. 

Il est convaincu des atouts de Bruxelles pour attirer les jeunes talents. « Pendant des années, j’ai voyagé 4 jours par semaine. Comparée à d’autres villes, Bruxelles reste un terreau idéal. Il y a un bon mix entre population très internationale et qualité de vie accessible. Malheureusement, arrivés à un certain âge, trop décident de déménager hors de la capitale », observe-t-il. 

Optimiser les process

Autre enjeu de taille, la capacité à optimiser ses processus d’entreprise pour parer à des coûts de croissance qui, s’ils ne sont pas maitrisés, peuvent entrainer la sortie de route. « Nous testons et raffinons en permanence, que ce soient nos process opérationnels, nos approches RH ou marketing, notre déploiement commercial et bien sûr le développement de la plateforme », explique Dominique Pellegrino, le CEO de Vertuoza. Son entreprise, développeuse de solutions digitales pour entreprises de la construction, fût lauréate du dernier prix Deloitte Fast 50.

Une culture du Venture Capital qui se développe

Même si beaucoup peuvent trouver en finance&invest. brussels un très efficace relais de financement, on a longtemps dit que la Belgique en général – et Bruxelles en particulier – ne pouvait que souffrir de la comparaison avec Londres ou Paris, en matière de présence de capital-risque. « Vu la taille limitée du marché belge, y faire émerger une entreprise technologiquement innovante est compliqué, ce qui impacte le potentiel d’attraction des investisseurs » explique Jean-Louis Van Houwe, très impliqué par ailleurs dans l’association sectorielle Fintech Belgium.

Mais de l’aveu de nombreux témoins, le panorama a beaucoup évolué. L’écosystème bruxellois accueille aujourd’hui plusieurs fonds dont White fund, E-capital, TCD Capital, SmartFin, M80, SFPIM, et d’autres… « Bruxelles avait pris du retard sur d’autres capitales mais une culture du Venture Capital se développe peu à peu », se réjouit Cedric Pierrard. Par ailleurs, souligne Alain Heureux, « quand les projets sont bons, les financements suivent ».

A cet égard, disposer en son sein d’entrepreneur·es locaux·les accompli·es et qui investissent ensuite dans d’autres sociétés prometteuses s’avère être un ingrédient clé d’un écosystème porteur. Tant Jean Louis Van Houwe que Cédric Pierrard, eux-mêmes investisseurs et présents dans plusieurs boards, évoquent spontanément les exemples pionniers des frères Zurstrassen et Grégoire de Streel, les fondateurs de Keytrade, qui ont beaucoup réinvesti. Alain Heureux pointe encore d’autres role models belges tel l'investisseur technologique Jürgen Ingels ou Duco Sickinghe, l’ancien dirigeant de Telenet.

Bruxelles : the place to scale 

La région compte d’ailleurs aujourd’hui une série d’entreprises bruxelloises ambitieuses. Parmi les nommés et lauréats des cinq dernières années au prix Scale-up du consultant EY, on trouve les développeurs de plateformes digitales en tout genre que sont BePark, Sortlist, Apptweak, Netaxis ou Wooclap mais aussi des acteurs de la mobilité – Cowboy et Urbants – ou de l’alimentation humaine et animale, telles eFarmz et Dog Chef.

La capitale procure donc un environnement favorable à tout qui veut y grandir et sait activer les bons leviers. « Nous avons pu compter sur le soutien de Hub. brussels, de Beci et d’Innoviris et de partenariats innovants avec des acteurs bruxellois que sont les grandes banques et Payconiq », témoigne ainsi Jean Louis Van Houwe, qui mentionne encore le Réseau Entreprendre dont Monizze a bénéficié. « Avoir grandi dans un incubateur comme Seed Factory nous a aussi permis de nouer de nombreux contacts. Avec des acteurs à la fois public et privés, l’écosystème est complet », ajoute-t-il.

Pour Alain Heureux, on trouve en effet à Bruxelles une foule d’incubateurs, d’aides et de partenaires potentiels prêts à épauler les start-ups, dont des business angels. Il tient d’ailleurs à nuancer les discours alarmistes quant au nombre de faillites observées. « On oublie souvent que sur 10 entreprises qui démarrent, 8 ne connaitront jamais le succès. C’est vrai à Bruxelles comme à San Francisco ou à Singapour », relève-t-il.

Cependant, il note que Bruxelles n’est pas encore un lieu pour entreprises à croissance aussi fertile que le sont Gand ou Anvers et que les programmes d’accélération y sont rares… « Sans doute y a-t-il des questions à se poser en termes de mobilité, de loyers et d’espaces disponibles pour ces entreprises. 

Audi, Solvay… De grands sites bruxellois se vident aujourd’hui. Ne devrait-on pas en faire des sites d’accélération ? », interroge-t-il. L’expert explique encore travailler avec plusieurs partenaires, dont Deloitte, à la création d’un possible pôle d’excellence en GovTech pour Bruxelles. La région a ceci d’unique qu’elle est le lieu d’un nombre incalculable de corps administratifs et de régulateurs. Européennes, fédérales, régionales, communales…Les entreprises bruxelloises sont confrontées à une impressionnante superposition d’obligations administratives. Sans doute sont-elles aussi les mieux placées pour identifier et exploiter les potentiels d’innovation technologique en la matière…

 

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Philippe Beco 7 mars 2025
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