Bruxelles est la deuxième ville la plus cosmopolite du monde, après Dubaï. À la diversité des langues et des origines se superposent la variété des niveaux de formation et une population qui rajeunit. Cette diversité est l’une des clés de la résilience des entreprises, car elle les prépare à mieux affronter les défis de l’avenir. Malgré tout, les chiffres prouvent que la diversité en entreprise n’est pas encore acquise. Pourquoi ? Et comment faire changer les choses ?
Caroline Mancel, Directrice générale adjointe d’Actiris, l’affirme : « Assurer la diversité en matière d’emploi à Bruxelles est essentiel compte tenu de la réalité de terrain. Il reste beaucoup de chemin à parcourir, car les inégalités sont énormes. »
Pour appuyer ses dires, elle se base sur une enquête réalisée par view.brussels (l’Observatoire bruxellois de l’emploi et de la formation)1 : « Le principal constat de cette étude est qu’il est vraiment plus difficile de trouver un emploi quand on est d’origine étrangère, et ce, malgré le fait d’avoir des qualifications. À Bruxelles, 8 chercheurs d’emploi sur 10 sont d’origine étrangère. Si l’on y ajoute le fait d’être une femme, de porter le voile, d’être jeune… la difficulté augmente encore. Plus on combine de facteurs de diversité, plus on est discriminé », explique Caroline Mancel.
« Ce sont les jeunes d’origine subsaharienne qui ont le plus de difficultés à trouver un travail malgré leur présence plus importante dans les formations. Le taux de chômage des personnes d’origine maghrébine et africaine est par ailleurs 3 à 4 fois plus élevé que celui d’un ‘Belgo-Belge’. Enfin, à diplôme égal, les personnes d’origine non-européenne ont plus de difficultés à trouver un emploi. Les femmes sont également globalement plus vulnérables. »
Cette discrimination ne concerne pas que l’embauche. Dans les hautes écoles professionnalisantes où un stage est prévu, elle apparaît déjà. Colette Malcorps, directrice-présidente de l’Ephec, confirme : « Certains étudiants issus de la diversité nous rapportent que, lorsqu’ils postulent pour des stages, ce n’est pas toujours simple. J’ai la faiblesse de croire qu’en les préparant au mieux, en leur apprenant les codes de la vie en entreprise, en les mettant dans un projet professionnel durant leurs études, etc. on leur donne par la suite plus de chance de franchir les différentes barrières qui pourraient se présenter. »
Même lorsqu’on est bien diplômé, la discrimination sévit. Veronica Rocha, native du Grand-Duché de Luxembourg et originaire des îles du Cap-Vert, en est la preuve. Arrivée en Belgique pour faire ses études, Veronica débute sa carrière dans la communication tout en menant à bien différentes activités journalistiques. Durant 9 ans, elle sera attachée de presse puis coordinatrice de la cellule communication du CNCD (la coupole des ONG).
Depuis 2015, elle produit une WebTV et est actuellement administratrice déléguée adjointe de FedeWeb, la Fédération des Webmédias. Un beau parcours, qui a toutefois été semé d’embûches : « Notamment par rapport à mon envie d’être journaliste, le fait d’être une femme de couleur m’a vraiment freinée. Aujourd’hui, on parle de plus en plus de diversité dans les médias, mais à l’époque ce n’était pas le cas. En 2001, la télévision n’était pas vraiment prête à mettre des personnes de couleur à l’antenne. Venant du Luxembourg, ma première impression était que Bruxelles était une ville très multiculturelle où les choses seraient différentes. Toutefois, j’ai vite constaté qu’il y avait encore du chemin à parcourir », raconte-t-elle.
Diversité : des mesures existent déjà
Les chiffres sont là et les problèmes ne sont pas neufs. C’est pourquoi, depuis de nombreuses années, diverses mesures ont été mises en œuvre pour encourager la diversité (de nationalité, mais aussi de genre, d’âge ou de niveau de diplôme) au sein des entreprises.
Ainsi, Actiris réalise depuis 2008 des plans de diversité. « 225 plans diversité ont été réalisés, touchant près de 90 000 travailleurs en région bruxelloise. Toutes les actions qui découlent des plans sont cofinancées par Actiris à concurrence de maximum 10 000 €. Dans la déclaration gouvernementale bruxelloise, on peut lire que les aides publiques pourraient, à l’avenir, être conditionnées à la mise en place d’un plan diversité. Cela pourrait être une belle avancée, mais nécessiterait que l’on nous donne plus de moyens », explique Caroline Mancel.
Actiris dispose par ailleurs d’un guichet anti-discrimination, où les chercheurs d’emploi qui s’estiment discriminés peuvent consulter un conseiller. « Nous-mêmes essayons d’être exemplaires en matière de diversité », assure Caroline Mancel. « Actiris compte aujourd’hui 1 582 employés issus de 25 nationalités. Un employé sur deux est d’origine étrangère. Nous employons par ailleurs 66 % de femmes et celles-ci sont aussi représentées au sein de la direction. L’une de nos recommandations est d’ailleurs que cette diversité soit accrue au sein des autres institutions publiques pour montrer l’exemple aux entreprises. »
Veronica Rocha confirme : Bruxelles-Capitale soutient de nombreuses initiatives pour stimuler l’économie. « Il existe de nombreuses aides financières, notamment pour ceux qui souhaitent lancer leur projet, comme la couveuse d’entreprises. Pour les personnes issues de la diversité qui ne trouvent pas leur place sur le marché de l’emploi parce qu’elles subissent des discriminations, c’est sans aucun doute une piste à suivre. J’invite ces personnes, qui se sentent bloquées ou discriminées, à réfléchir à leurs passions, à leurs talents et à se demander comment en faire quelque chose qui créera de la valeur. Mais j’invite également les employeurs à se demander si le potentiel issu de la diversité doit forcément se traduire en entreprenariat… »
Sensibiliser les jeunes, acteurs de demain
En dehors de la nationalité, les différents niveaux de formation posent aussi problème à Bruxelles : « Nous sommes une économie tertiaire où le diplôme est important. Mais dès lors que l’on ne peut pas faire reconnaître son diplôme, cela pose problème », explique Caroline Mancel. Actuellement, la reconnaissance d’un diplôme étranger coûte cher et prend du temps, sans garantie de résultat. « Nous plaidons pour la gratuité de la procédure ainsi que pour une validation plus simple. Nos conseillers sont parfois ahuris de voir des médecins spécialisés d’origine étrangère travailler comme veilleurs de nuit, car ils n’arrivent pas à faire reconnaître leur diplôme. »
Emmanuelle Havrenne, administratrice déléguée de l’Ephec, partage cet avis : « À Bruxelles, il y a une grande disparité dans le niveau de formation des travailleurs. Dans ce cadre, toutes les formations en promotion sociale organisées dans les établissements scolaires ou par Bruxelles Formation constituent une partie de la solution. Au sein de l’Ephec, nous constatons que la population en promotion sociale tend à rajeunir, ce qui prouve que les jeunes sont de plus en plus désireux de se former, même s’ils ont à un moment donné quitté le système. »
Et Kristien Depoortere, directrice de l’Ephec – Promotion sociale, d’ajouter : « Dans nos formations de promotion sociale, je constate que l’intégration de tous se fait naturellement. Les étudiants viennent chacun avec leur vécu, leur culture, leurs croyances. Les compétences acquises permettent de s’insérer ou de se réorienter assez facilement dans le monde professionnel et ceci indépendamment de certains éléments qualifiés de discriminatoires. »
Les écoles jouent un rôle–clé dans la sensibilisation des futurs travailleurs. Colette Malcorps explique : « À l’Ephec, nous avons une approche volontariste par rapport à la diversité. Ainsi, nous avons ajouté à notre programme des compétences à l’international, y compris l’international ‘at home’. Nous avons un public d’étudiants très diversifié. Dans la pratique, nous faisons en sorte que ces étudiants soient obligés de travailler ensemble, de coopérer, d’écouter d’autres façons de travailler et de réagir. Nous intégrons la notion de diversité comme un élément important d’apprentissage et nous demandons à nos professeurs d’aborder spécifiquement cet aspect durant leurs cours. »
Et Emmanuelle Havrenne de poursuivre : « Il faut inculquer l’importance de la diversité dès les études, car d’ici 10 ou 15 ans, ce seront peut-être ces étudiants qui seront amenés à recruter du personnel. On veut éveiller leur conscience et leur faire vivre une vie étudiante où la diversité est importante, ce qui la rendra plus tard beaucoup plus naturelle au travail. »
Les entreprises ont tout à gagner
Face à ces différents constats, Caroline Mancel estime qu’Actiris doit agir radicalement et utiliser les accords-cadres sectoriels pour renforcer les actions contre la discrimination. « Même si nous avons déjà fait beaucoup, nous devons aller plus loin. En dehors de l’injustice pour les personnes concernées, la discrimination a aussi pour conséquence de ralentir l’économie et d’augmenter le ‘mismatch’ entre l’offre et la demande d’emploi. »
De nombreuses offres d’emploi restent en effet vacantes. Pour Caroline Mancel, il faut se demander pourquoi : est-ce parce que les employeurs sont trop focalisés sur les ‘Belgo-Belges’ ? Ont-ils peur qu’une femme fasse mauvaise impression au client ? « Notre message aux employeurs est que nous sommes là pour les aider à mettre en place un plan diversité », dit-elle.
Par ailleurs, contrairement à Bruxelles, la population en Flandre est vieillissante. Le flux de navetteurs vers Bruxelles diminue déjà. « Notre souhait est que les trains qui amènent les navetteurs de Flandre et Wallonie à Bruxelles repartent dans l’autre sens remplis de travailleurs », reprend Mme Mancel. « La Flandre a besoin de Bruxelles, mais ce n’est pas facile à faire comprendre aux employeurs, à cause des préjugés et également pour des raisons linguistiques. Mais là aussi, des solutions sont mises en place. »
« De manière assez naturelle, l’homme résiste au changement. Pourtant, la diversité est une opportunité pour les entreprises », assure Veronica Rocha. « Les entreprises d’aujourd’hui ont besoin de créer de la valeur dans un monde aux ressources limitées et en pleine mutation. La diversité peut être la clé de leur résilience car elle est source d’innovation, elle facilite des approches différentes. Par ailleurs, la diversité en entreprise fait vraiment partie des attentes de la nouvelle génération de travailleurs. C’est donc un outil de recrutement et de rétention important. Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Les entreprises doivent opérer un changement profond en matière de stratégie et de philosophie. »
Emmanuelle Havrenne conclut : « Le premier principe en matière de ressources humaines est de mettre la bonne personne à la bonne place. Toutefois, dans un monde qui se complexifie et devient plus global, assurer la diversité est primordial. Car elle peut accroître la créativité, l’agilité, la compréhension de certaines problématiques, des attentes des clients, etc. À compétences égales entre deux candidats, il fautse demander ce qui est le plus souhaitable pour l’organisation, en fonction des profils déjà présents au sein de l’entreprise. »
Merci à Caroline Mancel, Deputy Director chez Actiris & Veronica Rocha
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