Un plan de diversité, pour mieux valoriser les compétences !
Thérèse Locoge dirige le service juridique du CHU de Bruxelles, après avoir mené la direction administrative du CHU Brugmann, l’un des plus grands hôpitaux publics et universitaires bruxellois.
Il y près de 10 ans, avec ses collègues d’autres services de l’hôpital, ils ont créé et mis en œuvre un plan de diversité. Une réelle réussite, puisque le CHU Brugmann a été le premier à recevoir le label ‘diversité’ décerné par la Région Bruxelles-Capitale, en 2011. Une fierté pour le CHU Brugmann, qui envisage à présent de faire évoluer son plan de diversité vers un nouvel axe pour l’ancrer dans la réalité d’aujourd’hui.
Un contexte particulier
Le CHU Brugmann est une grande structure hospitalière: plus de 2.500 salariés et pas loin de 500 collaborateurs indépendants. 57% du personnel est domicilié en Région bruxelloise et 74% sont des femmes. 853 lits agréés, 250.000 journées d’hospitalisation, près de 295.000 consultations médicales par an, plus de 3.400 accouchements par année, 12.000 interventions en quartier opératoire et en hospitalisation de jour chirurgicale, près de 11.000 passages en hospitalisation de jour médicale et 69.000 passages aux urgences.
La patientèle présente aussi des spécificités car elle reflète le contexte multiculturel bruxellois. Ceci explique que l’origine des patients et des travailleurs a été le premier point d’attention lorsque le plan a été discuté en 2009. « Une grande expérience de la multiculturalité préexistait avant la mise en œuvre du plan de diversité », souligne Thérèse Locoge. « Il faut dire qu’on parle près de 70 langues dans l’hôpital ! Nous avions par exemple une liste de travailleurs maîtrisant des langues étrangères qui s’engageaient, de manière volontaire, à aider le personnel soignant lors de leurs contacts avec les patients. Des collaborations et des actions préexistaient donc à la mise en œuvre du plan de diversité qui s’est traduit dans un cadre plus formel et fédérateur».
Thérèse Locoge relève également qu’au départ ce plan n’a pas été entamé en raison de difficultés cruciales constatées en pratique : « le plan a surtout été pensé parce que les initiatives qui existaient méritaient d’être encadrées au travers d’un projet qui leur donnerait une attention spécifique. Il nous paraissait également important que la composition du personnel du CHU Brugmann reflète la même diversité que celle des patients et de la population bruxelloise ».
Un processus réfléchi et structuré
Dès le début des travaux, l’origine a été considérée comme un critère évident. Mais comment le définir et le quantifier concrètement ? « Notre idée de base était de relever statistiquement les différentes origines du personnel et des patients. Nous avons réfléchi à ce que l’on entendait par ‘origine’ : s’agit-il d’un critère défini sur base d’un nom à consonance étrangère, d’une nationalité, d’un lieu de naissance, d’un lieu de naissance des parents, voire d’une auto-appréciation par le travailleur ? Légalement, un tel exercice devait s’insérer aussi dans le cadre protecteur prévu en raison du caractère sensible de ces données. Malgré un avis positif de la Commission de la protection de la vie privée que nous avons sollicité, nous avons décidé de ne pas réaliser cette mesure quantitative, qui finalement n’aurait pas été déterminante pour nos actions qualitatives. Nous n’avons donc pas voulu trancher cette question et avons favorisé une approche plus globale pour consolider les bonnes pratiques et à les étendre à l’ensemble de nos secteurs».
Une phase pilote a permis de cibler un certain nombre de principes par un groupe de travail reflétant les différents métiers de l’hôpital. Ces principes ont ensuite été traduits, tant pour le personnel que pour les patients, en missions et valeurs.
« Appliquer la diversité repose non seulement sur un fondement d’égalité mais vise aussi à une meilleure efficacité, à prévenir ou à résoudre des difficultés ainsi qu’à bénéficier de la richesse existante dans un contexte de multiculturalité. Elle permet l’intégration et le développement professionnel en fonction des compétences et non pas en fonction de l’origine, de l’âge, du sexe ou du handicap. »
Les liens avec le Comité de direction et le Conseil d’administration du CHU Brugmann ont été privilégiés dès le début de l’exercice afin de rendre compte de l’évolution du projet et d’obtenir leur adhésion. De la même manière, les représentants des travailleurs ont été associés et informés à plusieurs reprises au cours du déploiement du plan.
Un plan transversal
Thèrèse Locoge précise : « le plan, très détaillé, nous a permis de développer plusieurs axes allant de la sensibilisation à des éléments de bonne pratique, de manière à ce que la perspective de la diversité soit intégrée dans la stratégie de l’institution».
Un premier axe concerne le recrutement : comment garantir une sélection et un recrutement misant sur la diversité ? « Cela commence par une ouverture de poste en interne à l’institution bien sûr, mais également en externe. Cette vacance neutre sur le plan du genre et de l’âge contient un court descriptif de fonction mettant l’accent sur le diplôme exigé mais aussi sur les compétences attendues. Lors des entretiens de sélection, les questions posées sont les mêmes pour tous les postulants. »
Un deuxième axe concerne la gestion du personnel, « en priorité au travers d’une politique d’accueil pour les nouveaux engagés, puisque c’est là que tout débute. On a par exemple étendu les journées d’accueil à toutes les catégories de personnel et non plus seulement au personnel infirmier ; un système d’évaluation de cet accueil a été aussi instauré».
Le feedback et l’évolution professionnelle sont également traités : « comment neutraliser la question de l’origine dans des relations professionnelles en se focalisant sur la valorisation des compétences ? » À cet égard, l’un des grands principes ayant mené à la création du plan lui vient en tête: « appliquer la diversité, c’est ne pas souligner les différences mais valoriser les compétences, aborder positivement les particularités de tous, tout en affirmant ce que nous avons en commun ». Ce principe résume bien l’esprit du plan.
La formation des travailleurs, entre autres sur la diversité et les cours de langue, fait aussi partie des axes du plan. Des formations ont été données par des professionnels externes de manière « croisée » à plusieurs catégories de travailleurs : personnel administratif, soignant, technique en même temps. Thèrèse Locoge explique que « le travailleur peut alors se rendre compte que les problématiques auxquelles il est parfois confronté, ses collègues les rencontrent aussi. Mais parfois d’une autre manière. Un travailleur qui gère l’accueil fera par exemple de temps à autre face à des difficultés de compréhension d’un patient, ce qui générera des files et du stress. Alors qu’un membre du personnel soignant ne subira pas cette pression due à la file mais sera confronté à d’autres difficultés, par exemple poser un acte de soins dans un certain contexte. Une telle approche renforce la compréhension et la cohésion entre les travailleurs et la qualité de la prise en charge du patient ». Une approche croisée qui a d’ailleurs été étendue à d’autres types de formation en raison de son effet positif !
Enfin, des expositions et des activités ont été également mises en place, de manière à créer des moments de partage et de convivialité entre les patients et le personnel.
Le plan n’est pas figé dans le temps. Une initiative a encore récemment été mise en place : un trombinoscope réalisé avec l’aide de travailleurs ayant des origines différentes. Ils se présentent et donnent un message d’accueil dans leur langue. Ces capsules ont été placées sur le site internet de l’hôpital pour maintenir un rapport de proximité et d’accueil et souligner l’aspect multiculturel du CHU Brugmann.
Un accueil favorable des travailleurs et des effets positifs
« Les retours que nous avons reçus du personnel ont été dans leur très grande majorité favorables à la mise en œuvre du plan », souligne Thérèse Locoge. « On a constaté que la plupart adhéraient au plan et sentaient qu’il s’agit d’un sujet sociétal important. Nous avons toutefois remarqué, de manière ponctuelle, que certains ne voyaient pas le plan comme une priorité et considéraient que des questions plus concrètes devraient être traitées en premier lieu, par exemple la charge de travail ou l’organisation des soins. »
Le plan n’ayant pas été motivé par une situation problématique préexistante, ses effets positifs se constatent surtout dans le fait qu’une visibilité a été donnée à la gestion de la diversité en la formalisant et en l’encadrant grâce à de bonnes pratiques. « Le fait d’avoir engagé des réflexions formelles sur la diversité, d’y avoir consacré des moyens spécifiques était utile. Aussi parce qu’au travers des groupes de travail, le personnel a pu en parler et y être associé ». Au-delà de cette dimension, il est difficile de mesurer des effets quantitatifs sur le personnel. « Mais d’après les retours que nous recevons, le plan est vécu positivement. Le fait d’avoir reçu le label diversité de la Région de Bruxelles-Capitale est évidemment un élément important de reconnaissance aux yeux du personnel », souligne Thérèse Locoge.
Facteurs de succès
Identifier les facteurs de succès d’un plan diversité n’est pas un exercice aisé. Thérèse Locoge identifie trois facteurs principaux qui ont permis une bonne exécution du plan. Tout d’abord, le fait d’avoir obtenu dès le début un support hiérarchique. « Il était important que la direction soutienne ce projet qui demande du temps et des moyens. Il doit s’agir d’une démarche collective ».
Ensuite, les formations ont également été une aide importante principalement grâce au soutien et à l’expertise apportés par les spécialistes externes.
Enfin, l’appui extérieur offert par les pouvoirs publics, en l’occurrence la Région de Bruxelles-Capitale et Actiris, a également permis que le plan soit un succès. « En plus de souligner le sérieux de notre projet, cela nous a aidés à structurer le plan, identifier les possibilités et les aides potentielles. Nous avons, par exemple, pu obtenir un subside via Actiris qui a permis de traduire le guide de l’hospitalisation en de multiples langues, à nouveau pour permettre d’allier le personnel et les patients dans la multiculturalité. Ce subside a été utile, même s’il ne représente qu’une toute petite partie du coût global du plan ».
Thérèse Locoge conclut en soulignant à quel point il est important de rester attentif au temps et au travail que peut prendre la création et la mise en œuvre d’un plan de diversité : « la diversité est un thème très large. Il faut apprendre à être modeste. Il faut sérier les actions, être tenace et ne pas se disperser dans d’autres actions intéressantes qui pourraient faire perdre le fil ou engendrer une démotivation au cours du temps. Commencer par un seul critère protégé est également important, quitte à faire évoluer le plan par la suite. Après près de 10 ans de mise en œuvre, nous envisageons à présent de le faire évoluer en y intégrant le critère du genre ». Un bel exercice en perspective pour le CHU Brugmann !
Avec le soutien de :