Luc Lallemand, le CEO d’Infrabel, a une grande conviction : les entreprises doivent plus que jamais miser sur la diversité et l’égalité des genres. Selon lui, un personnel diversifié stimule davantage l’innovation et donne aux entreprises un regard neuf sur les défis auxquels elles font face au quotidien.
Entretien avec Luc Lallemand :
Vous êtes connu et reconnu pour accorder une grande importance à l’équilibre des genres au sein de votre société. Pourtant, Infrabel est un gros navire, comment parvenez-vous à faire bouger les lignes ?
Il est vrai qu’Infrabel détient un riche héritage industriel qui est typiquement marqué par un environnement très masculin et patriarcal. Cette réalité induit le fait que nous faisons face à plusieurs défis tels que la féminisation de notre personnel ou encore, celui de la pyramide des âges. En effet, dans une dizaine d’années, environ la moitié des collaborateurs vont nous quitter. Nous voulons saisir cette opportunité pour changer notre manière de recruter et adopter toute une série de nouvelles façons de travailler. Si nous voulons nous inscrire dans le changement et la digitalisation, nous devons tenir compte du fait que nous sommes freinés par plusieurs éléments structurels : par exemple, notre réseau est constitué de 11 000 km de voies. Il est par conséquent lourd et peu flexible.
À la rentrée, Infrabel a lancé la plus grande campagne de recrutement de son histoire. Sur les 1400 nouveaux postes à pourvoir, quelles sont les actions mises en place pour cibler spécifiquement la gent féminine ?
Notre campagne est basée sur un slogan unique : « We need a woman like you! ». Pour le justifier, je me dois de rappeler qu’il est très difficile de toucher les femmes dans un secteur aussi niche et technique. Pour l’équipe de ressources humaines, le défi est particulièrement complexe : dans la typologie des diplômés, nous faisons face à un déséquilibre substantiel. Chaque année, seulement 20 % des diplômés en ingénierie sont des femmes. Dans ces 20 %, vous devez enlever les chimistes et les biochimistes. On arrive donc à un taux particulièrement bas… D’une même façon, on constate au quotidien le plafond de verre et l’auto-sabotage des femmes envers elles-mêmes. C’est triste de le reconnaître, mais si vous proposez à un homme une promotion, il fonce. Vous faites la même offre à une femme, elle préfère la plupart du temps conserver sa fonction actuelle.
Contrairement à beaucoup d’autres entreprises, votre comité de direction est mixte. D’où vous vient cette conviction qu’il faut impérativement soigner le ratio homme/femme ?
Dans les débuts d’Infrabel en 2004, nous avions un taux de 6 % de femmes dans la société. Aujourd’hui, nous sommes passés à plus de 10 %. C’est à la fois une petite et une grande victoire. Petite, car l’humanité est constituée à moitié de femmes et donc, il y a pour moi quelque chose de naturel dans le fait de vouloir s’approcher de l’équilibre des genres au sein d’une société. Je m’intéresse au sujet depuis plusieurs années et je crois fort en l’adage « leading by example » : c’est pourquoi j’ai tout fait pour obtenir la parité au sein du comité de direction depuis trois ans. Au niveau du management, on est à un peu plus de 20 %, ce qui représente le double par rapport aux origines de la maison.
Pensez-vous qu’il existe des compétences exclusivement féminines ?
J’ai toujours très peur lorsqu’on commence à faire des généralisations. Je suis persuadé que chaque être humain possède en lui une dimension homme et une dimension femme. D’ailleurs, mes filles me disent souvent que j’ai en moi une grande dimension féminine, même si je ne sais pas exactement ce qu’elles veulent dire par là. Cependant, je préfère ne pas rentrer dans ces considérations où l’on peut rapidement tomber dans des clichés. Je ne suis jamais à 100 % pour une chose ou à 100 % contre. Je pense que le propre de l’être humain est d’avoir des points de vue et des actions nuancées. Paradoxalement, j’ai pu constater que beaucoup de femmes qui occupent des positions de leadership importantes ou élevées ne sont pas nécessairement des alliées à la cause de l’égalité des genres. Ce que je vais dire est un peu provocant, mais je crois qu’il faut davantage compter sur des hommes pour le faire, que sur des femmes.
Vous vous êtes également investi dans les nouvelles façons de travailler qui offrent davantage de latitude au personnel. Comment faites-vous concrètement pour garantir un équilibre de vie à vos équipes ?
Chez Infrabel, nous essayons de montrer tout ce que nous mettons en place pour aider le personnel à concilier la vie professionnelle et la vie privée. À titre d’exemple, depuis le 1er janvier 2017, nous avons instauré un jour de télétravail par semaine pour les métiers qui le permettent. Nous encourageons évidemment vivement nos employés à le faire. Je me dois de reconnaître qu’à mes débuts, entre 2004 et 2007, je me fichais royalement de savoir si les réunions étaient en journée, le soir ou le week-end. Maintenant, je suis beaucoup plus attentif à cela.
J’ai l’habitude de dire qu’il y a deux dimensions dans l’organisation du travail : celle que l’on réalise seul, comme lire ses mails ou préparer des réunions, et celle que l’on fait avec les autres. Depuis quelques années, le travail que je fais avec les autres est uniquement calé entre 7 h 30 et 18 h. J’essaye également d’être prudent avec mes emails. Depuis peu, j’ai trouvé une nouvelle fonctionnalité dans mon Outlook qui me permet d’envoyer les mails de façon différée. Vous constaterez que ce sont beaucoup de petits détails qui, mis bout à bout, peuvent réellement faciliter la vie au travail.
Et vous, comment faites-vous pour concilier à titre personnel votre vie privée et votre vie professionnelle ?
En ce qui me concerne, j’ai toujours mis un point d’honneur à conjuguer ma vie personnelle et professionnelle du mieux que je le pouvais. Suite à mon divorce, mes filles habitent et vivent depuis 6 ans à temps plein chez moi. Bien sûr, pour que cela soit possible, j’ai été largement aidé par ma maman et ma compagne actuelle, pour tous les aspects logistiques. Ce que j’essaye de montrer à travers cet exemple, c’est que j’ai pu piloter Infrabel depuis une grosse dizaine d’années tout en n’abandonnant pas la dimension éducation de mes deux filles. Je suis conscient que le chemin vers l’équilibre des genres est encore long, mais s‘il y a bien une chose dont je suis certain, c’est que les entreprises doivent plus que jamais miser sur la diversité pour grandir.
Propos recueillis par Elisa Brevet