D’octobre 2022 à ce jour, bon nombre de réformes sont entrées en vigueur dans le cadre duDeal pour l’emploi initié par le gouvernement fédéral. Les objectifs de celui-ci sont de donner plus de flexibilité aux employeurs comme aux travailleurs, de garantir un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle, et de contribuer à faire passer le taux d’emploi à 80 % d’ici à 2030. Nous avons fait le point sur la plupart de ces mesures et leur impact, ainsi que sur d’autres sujets d’actualité sociale, avec Mélanie Henrion, Avocate chez Claeys & Engels. Avec plus de 90 avocats, quelque 2.800 entreprises clientes et 6 bureaux en Belgique, ce cabinet fait figure de référence dans le traitement des questions liées aux ressources humaines.
Mélanie Henrion, Avocate chez Claeys & Engels
Trajet de réintégration et force majeure médicale
Depuis le 1er octobre 2022, le trajet de réintégration a été lancé pour les travailleurs en incapacité de travail de longue durée. Le 28 novembre 2022, la procédure pour force majeure médicale entrait elle aussi en vigueur, modifiant la portée du trajet de réintégration.
La procédure en trajet de réintégration vise désormais exclusivement à réintégrer un travailleur dans son entreprise, tandis que la procédure pour force majeure médicale permet de constater une rupture du contrat pour ce dernier motif. Auparavant,
c’était la même procédure : on lançait un trajet de réintégration et si le médecin du travail constatait une incapacité définitive pour exercer une quelconque fonction chez l’employeur, on tombait dans le cas de force majeure médicale ;l’employeur
pouvait alors rompre le contrat. C’en est fini de recourir à la procédure classique du trajet de réintégration s’il y a une volonté de constater une force majeure médicale.
Pour pouvoir introduire la procédure pour force majeure médicale, il faut aussi désormais que le travailleur soit en incapacité depuis plus de 9 mois de manière
ininterrompue. Dans ce laps de temps, on ne compte toutefois pas les reprises de travail de moins de 14 jours.
Politique de neutralité
Le 13 octobre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé qu’une entreprise belge ne pratiquait pas de discrimination si elle interdisait à l’une de ses salariées de porter le voile ou un autre signe religieux. Une société peut donc invoquer sa politique de neutralité pour justifier un tel choix. Mais, attention, la messe n’est pas dite pour autant…
La prise de position de la CJUE a pour origine le cas d’une jeune femme. Dans le cadre d’une formation professionnelle, elle avait adressé sa candidature à une entreprise afin de réaliser un stage non rémunéré. De confession musulmane, elle portait le foulard islamique. Elle fut reçue en entretien, lors duquel les responsables lui ont demandé si elle pouvait se conformer à la règle de neutralité du règlement de travail de l’entreprise, en l’occurrence ne pas porter son voile. Elle ne marqua pas son accord et aucune suite ne fut donnée à sa candidature.
Ultérieurement, elle redéposa sa candidature, en proposant cette fois de porter un autre couvre-chef du type casquette. Nouveau refus de la société. La jeune femme entama alors une action de contestation devant le Tribunal du travail de Bruxelles, se plaignant d’une discrimination sur la base de ses convictions religieuses. Le tribunal décida de saisir la CJUE afin de vérifier s’il y avait, ou non, discrimination.
Discriminations directes et indirectes
Dans un premier temps, la CJUE rappela sa jurisprudence en matière de discrimination directe : si une règle en entreprise ne se limite pas à interdire certains signes spécifiques, mais bien tout signe visible de conviction politique, philosophique ou religieuse de façon identique à l’ensemble de sestravailleurs, il n’y a pas de discrimination. En clair, une telle politique de neutralité peut être prévue au sein de l’entreprise.
Toutefois, dans un second temps, la Cour se prononça sur la notion de discrimination indirecte,alors même qu’elle n’avait pas été interrogée sur cette notion. La discrimination indirecte désigne une règle neutre en apparence, mais qui aboutit dans les faits à désavantager des personnes qui adhèrent à certaines convictions, notamment religieuses. Ici, la CJUE rendit un avis plus nuancé : si l’objectif d’une politique de neutralité est bien légitime, c’est néanmoins insuffisant. L’employeur doit pouvoir démontrer la réelle nécessité d’une telle politique.
Depuis lors, l’affaire a été renvoyée devant le Tribunal du travail de Bruxelles… dont la décision définitive n’a pas encore été rendue ! Selon Mélanie Henrion, à l’avenir, « les employeurs ne pourront se limiter à faire état d’une simple volonté de mener une politique de neutralité. Il conviendra aussi de pouvoir démontrer la présence d’un besoin véritable de disposer d’une telle politique dans le chef de l’employeur. Ceci pourrait conduire à des distinctions entre travailleurs, par exemple entre ceux qui sont en contact avec les clients et ceux qui restent dans des bureaux et ne voient personne, si la politique de neutralité est justifiée par le besoin de rester neutre à l’égard de la clientèle. Cette distinction est fréquemment appliquée dans la fonction publique. »
Semaine de 4 jours
Depuis le 20 novembre 2022, un travailleur peut demander par écrit à son employeur debénéficier de la mesure de la semaine des 4 jours. Toutefois, cette demande peut être refusée, sans possibilité de recours.
Si une telle demande lui être adressée, l’employeur est libre de l’accepter ou non, avec cependant l’obligation, dans ce dernier cas, de motiver son refus par écrit. La loi ne prévoit aucune sanction ni recours, même si la motivation manque de pertinence ou de cohérence.
Afin d’éviter des demandes inutiles, Mélanie Henrion recommande, même s’il n’y a pas d’obligation légale à cet égard, « de communiquer préalablement et de manière générale sur l’intention ou non de mettre en place ce régime. En cas de refus, cette communication ne suffitcependant pas : l’employeur reste tenu de répondre individuellement par écrit à une demande écrite du travailleur. »
En cas d’acceptation de la semaine de 4 jours dans l’entreprise, la demande couvre une période de six mois, mais peut être renouvelée ensuite pour une nouvelle période de six mois. En outre, l’employeur doit soit adapter son règlement de travail – pour les travailleurs ne prestant pas plus de 38 h/semaine –, soit conclure une convention collective de travail – pour ceux prestant plus de 38 h/semaine. Précisons que si le travailleur preste 38h/semaine, on divise simplement les 38 heures par 4 pour qu’il effectue des journées de 9h30. Au-delà, le travailleur peut prester maximum 40 heures, que l’on divise aussi par 4 pour aboutir à 10 h/jour.
Si la mise en place de la mesure est décidée, l’entreprise doit conserver la demande écrite du travailleur et l’accord conclu avec celui-ci. Sous peine d’une amende administrative en cas de contrôle, une copie de cet accord doit être transmise au comité pour la prévention et la protection au travail ou à la délégation syndicale.
Encore très peu de succès
Notre interlocutrice constate que « pour l’instant, peu d’employeurs semblent enclins à la semaine des 4 jours. Les motifs de refus sont souvent liés à l’organisation et au bon fonctionnement de l’entreprise et de ses services, comme la nécessité d’une présence pour les clients. Certains employeurs veulent aussi éviter des conflits éventuels entre travailleurs. Imaginons qu’un accordsoit accordé à un travailleur pour prendre son jour de congé tous les vendredis et qu’il soit refusé à une autre afin de pouvoir assurer la continuité du service. Pourquoi l’avoir accordé à l’un plutôt qu’à l’autre ? Certains employeurs préfèrent aussi continuer à pouvoir accorder des congés liés à un motif spécifique comme le congé parental, plutôt qu’accorder de manière récurrente une semaine de 4 jours, souvent moins liée à un motif précis. »
Pour l’heure, la mesure ne rencontre pas un très grand succès. Selon les chiffres recueillis auprès des secrétariats sociaux, elle concerne à peine 5 travailleurs sur 1.000. « Toutefois, ne tirons pas de conclusions trop hâtives : ce type de mesure prend parfois du temps à se déployer, ne fût-ce qu’en raison des délais nécessaires pour adapter les règlements du travail des entreprises. Ce fut par exemple le cas du crédit–temps, qui a tardé à se mettre en place au début, mais qui est aujourd’hui un succès », nuance Mélanie Henrion.
Signalons par ailleurs que les syndicats ne se montrent pas non plus très favorables à cette mesure.Ils préféreraient de loin une réduction générale et globale de la durée du travail. Ils invoquent notamment le bien-être des travailleurs. Si la semaine de 4 jours introduit une certaine flexibilité, toute la question est de savoir si le travailleur tiendra le coup en restant efficace et concentré près de 10 heures par jour. Si ce n’est pas le cas, l’employé aura-t-il en outre facilement la possibilité de faire marche arrière et de revenir à la semaine de 5 jours sans attendre la fin de la période de six mois ?
Régime hebdomadaire alterné
Entré en vigueur le 20 novembre 2022, le régime hebdomadaire alterné permet à un travailleur de prester moins d’heures une semaine sur deux et de rattraper les heures perdues la semaine suivante. Au bout du compte, on aboutit à une durée hebdomadaire moyenne de travail normale.
Les conditions fixées par le législateur pour cette mesure sont relativement similaires à celles de la semaine de 4 jours : demande écrite de l’employé, accord écrit entre les parties en cas d’acceptation, motivation écrite de l’employeur en cas de refus, etc. À noter : le cycle du régime alterné peut être étendu à 4 semaines durant les vacances d’été – soit en juillet, août et septembre –ou en cas d’imprévu dans le chef du travailleur. Le législateur précise que la volonté est de permettre des adaptations quand il y a une garde alternée pendant les vacances d’été. Le travailleur peut par exemple travailler moins durant deux semaines et plus durant les deux suivantes.
À la différence de la semaine de 4 jours, le régime hebdomadaire alterné doit obligatoirement faire l’objet d’une modification du règlement de travail ; il ne peut pas être prévu par convention collective de travail. Autre spécificité : ce régime fonctionne par cycles, dont la durée est fixée entre l’employeur et l’employé. Moyennant une notification à l’employeur deux semaines avant le début d’un nouveau cycle, le travailleur peut mettre fin à ce régime pour revenir au régime normal.
Travail de nuit dans l’e-commerce
Depuis le 20 novembre 2022, le travail de nuit peut être introduit dans le commerce en ligne par la conclusion d’une convention collective du travail ou à titre d’expérience.
S’il est autorisé, le travail de nuit est désormais limité entre 20h et 24h. Première possibilité : il se fait par la conclusion d’une convention collective du travail, sans devoir modifier le règlement de travail. Seconde possibilité : il est introduit sur une base volontaire de manière temporaire sous la forme d’une expérience. L’employeur propose aux collaborateurs qui souhaitent y participer de lui adresser une demande écrite. L’expérience ne peut avoir lieu qu’une seule fois pour une durée maximale de 18 mois.
Selon Mélanie Henrion, « l’avantage de cette mesure par rapport à d’autres, comme la semaine de 4 jours, est de pouvoir la mettre en place sous la forme d’un test. Tant l’employeur que le travailleur peuvent ainsi vérifier si cela correspond à leurs attentes réciproques. »
Trajets de transition
Selon les termes du gouvernement, l’objectif des trajets de transition, en vigueur depuis le 20 novembre 2022, est d’activer les employés qui ont été licenciés. Lorsqu’ils sont en prestation de leur préavis, on leur permet de travailler pour leur futur employeur.
Grâce à cette mesure, le travailleur preste son préavis, non pas auprès de son futur ex-employeur, mais auprès d’un nouvel employeur utilisateur. À charge des deux employeurs concernés de s’entendre sur la quote-part de la prise en charge de la rémunération par le nouvel employeur utilisateur. La procédure doit se faire par l’intermédiaire d’une entreprise de travail intérimaire ou d’un service régional de l’emploi – Actiris, Le Forem ou le VDAB.
Il n’est pas obligatoire pour l’employeur de proposer le trajet de transition ni de l’accepter, tout comme le travailleur n’est pas obligé d’accepter une offre de trajet de transition. Pour Mélanie Henrion, « on peut douter de la portée de la mesure. En effet, très souvent, soit l’employeur souhaite faire prester le préavis à un travailleur licencié car on a besoin de lui pour former son remplaçant, soit le travailleur ne donnait pas satisfaction et l’employeur préfèrera payer l’indemnité compensatoire de préavis et ne pas recourir à la prestation du préavis, sans avoir de certitude quant à la possibilité de faire prester le préavis ailleurs. Les positions de l’ensemble des parties iront, sans doute, rarement dans le même sens. »
Suppression du certificat médical
Le 28 novembre 2022, est entrée en vigueur une mesure visant la suppression du certificat médical pour le premier jour d’incapacité de travail. Depuis lors, une telle dispense de certificat est possible maximum trois fois par année civile.
La dispense de certificat médical peut viser soit l’incapacité de travail d’un seul jour, soit le 1er jour d’une incapacité plus longue. Le certificat peut alors viser la période d’incapacité qui commence à courir à partir du jour qui suit l’absence. Dans le cadre de cette mesure, le travailleur reste néanmoins tenu d’informer l’employeur de son absence le jour-même de celle-ci et de communiquer l’adresse où il séjourne pour ce jour d’incapacité de travail. Ceci permet, le cas échéant, la visite d’un médecin contrôle.
Il existe également une possibilité de déroger à cette mesure pour les entreprises de moins de 50 travailleurs. Pour cela, elles doivent le mentionner soit dans le règlement de travail soit dans une convention collective de travail.
Droit à la déconnexion
Le droit à la déconnexion est entré officiellement en vigueur au 1er janvier 2023. Toutefois, l’administration a décidé en pratique d’appliquer un report de trois mois au 1er avril 2023. La loi ayant été publiée le 10 novembre dernier, le délai laissé aux employeurs pour mettre en place les formalités était en effet bien trop court.
Ce droit ne vise que les entreprises employant au moins 20 travailleurs. Il doit être garanti soit via une convention collective de travail, soit dans le règlement de travail de l’entreprise. Doivent y figurer trois types de mentions…
Un : les modalités pratiques qui visent à appliquer le droit du travailleur à ne pas être joignable en dehors de ses horaires de travail. Deux : les consignes relatives à l’usage des outils numériques afin de garantir les périodes de repos et de congé. Trois : les formations et actions de sensibilisation à destination des travailleurs et du personnel de direction concernant l’utilisation des outils numériques et les risques liés à une connexion excessive.
Mélanie Henrion constate que « la loi donne les thèmes qui doivent être abordés, mais sans donner de mesures concrètes devant être prises par l’employeur et les représentants du personnel. Cela peut aller du tout au tout ! On peut simplement avoir un rappel à propos de l’absence d’obligation d’être joignable en dehors des heures de travail. À l’extrême opposé, on peut imaginer la mise en place d’un système informatique qui rend impossible tout envoi de mails entre 18h et 8h du matin. On peut aussi prendre une mesure intermédiaire : un petit bandeau qui s’affiche quand on envoie un mail en soirée ou le weekend, demandant s’il faut l’envoyer plus tard. »
Mesures de promotion de l’employabilité
Entrées en vigueur le 1er janvier 2023, les mesures de promotion de l’employabilité visent à activer une partie du délai de préavis d’un travailleur licencié en lui offrant de la formation. Ainsi, il augmente ses chances de se réinsérer sur le marché de l’emploi.
Les mesures d’employabilité peuvent prendre diverses formes : des trajets de formation, des formules d’outplacement améliorées, des formations dans des secteurs en pénurie de main-d’œuvre, etc. Quelle que soit la solution retenue, elle s’applique dans le seul cas d’un licenciement impliquant soit un délai de préavis effectif d’au moins 30 semaines, soit le paiement d’une indemnité de rupture équivalente à cette durée. Ça ne fonctionne donc pas en cas de démission ou de rupture de commun accord.
Mélanie Henrion souligne deux éléments importants : « Tout d’abord, les mesures de promotion de l’employabilité s’appliquent de manière automatique ; il n’y a pas ici de procédures nécessitant un accord des parties. Ensuite, le travailleur se voit offrir ces mesures d’employabilité, avec maintien de sa rémunération, pour une valeur qui correspond au montant des cotisations patronales dues sur un tiers de la rémunération due pendant le préavis. Le financement ne se fait donc pas par l’employeur ou indirectement par le travailleur. Pour la mesure d’outplacement (régime général), qui existe toujours, l’employeur l’offrait mais pouvait alors déduire 4 semaines de préavis de l’indemnité du travailleur. »
Droit individuel à la formation
Dans toute entreprise comptant au moins 10 travailleurs, le droit individuel à la formation est en vigueur depuis le 1er janvier 2023. Avant cela, le droit à la formation était collectif.
Jusqu’à la fin de l’an dernier, une entreprise devait atteindre un nombre de jours de formation par équivalent temps plein, ces jours étant répartis à sa guise parmi le personnel de l’entreprise. À présent, le droit à la formation concerne chaque travailleur de manière personnelle et individuelle.
Depuis le 1er janvier 2023, dans toute entreprise comptant au moins 20 travailleurs, le nombre de jours de formation individuelle est de 4 par an pour chaque travailleur. Il passera à 5 à partir du 1erjanvier 2024. Dans les entreprises de 10 et 20 travailleurs, le droit n’est et ne restera que d’un jour par travailleur à temps plein et par an.
Plan de formation
Depuis ce 31 mars 2023, toutes les entreprises de plus de 20 travailleurs doivent établir un plan de formation annuel. Les modalités de mise en œuvre de ce plan restent cependant floues à ce stade.
Destiné aux entreprises de plus de 20 travailleurs, ce plan doit prévoir des formations destinées à des personnes qui appartiennent à des groupes à risque. Exemples : les travailleurs de plus de 50 ans ou ceux porteurs d’un handicap. Le plan doit également prévoir des formations pour remédier au manque de candidats dans certaines professions en pénurie au sein du secteur dont l’employeur fait partie.
En principe, chaque secteur pourrait prévoir, au niveau de sa commission paritaire, des exigences minimales de formation via une convention collective de travail. Celle-ci aurait dû être conclue au plus tard le 30 novembre 2022 pour l’année 2023. Or, pour le moment, seul le secteur de laconstruction l’a conclue. Dès lors, souligne Mélanie Henrion, « cela signifie que les employeurs doivent le faire au niveau de l’entreprise. S’il y a un conseil d’entreprise ou une délégation syndicale au sein de celle-ci, ces derniers devaient rendre leur avis pour le 15 mars au plus tard et l’employeur devait lui soumettre le projet de plan de formation 15 jours avant qu’il/elle rende son avis en vue d’obtenir un plan définitif en date du 31 mars. »