Faut-il abattre ou conserver le viaduc Herrmann-Debroux ? Interrogés dans notre newsletter, nos lecteurs se sont prononcés à près de 70 % pour son maintien. En écho, nous avons interrogé deux experts sur l’avenir des viaducs urbains.
Oui mais…
Michel Hubert, professeur de sociologie à l’Université Saint-Louis Bruxelles et vice-président du Brussels Studies Institute
Il faut replacer les viaducs et tunnels urbains dans leur contexte. Dans les années 50 et 60, c’était le tout à l’automobile, et plus particulièrement à Bruxelles qui s’est transformée dans la perspective de l’Expo universelle et du souhait de devenir capitale de l’Europe. Les voiries ont été transformées en autoroutes urbaines. Et s’il y avait des obstacles, comme des croisements, on mettait un tunnel ou un viaduc comme celui qui menait à l’autoroute de la mer.
Progressivement, les mentalités ont changé pour reconnaître qu’il faut certes des espaces de circulation dans la ville, mais qu’il faut aussi des espaces de séjour avec des places publiques et des voiries qui redeviennent agréables, plus aérées, plus arborées.
Pour les viaducs, l’une des difficultés reste l’entrée dans la ville. Il y en a deux qui ont déjà disparu, Léopold II et Reyers. Mais que faire de celui d’Herrmann-Debroux ? On peut imaginer que le métro l’emprunte et qu’on retrouve au sol une infrastructure plus urbaine. Mais détruire ce viaduc pour une artère plus urbaine ne serait pas non plus une mauvaise idée. La question est complexe car il est emprunté chaque jour par plus de 40.000 automobiles. La solution consisterait à augmenter le réseau RER, les ‘park and ride’ en dehors de la ville, étendre le métro jusqu’à Notre-Dame-au-Bois… Mais cela implique une coopération interrégionale, que la Flandre accepte de mettre un immense parking sur son territoire pour que des gens, venant principalement de Wallonie, aillent travailler à Bruxelles. Sans oublier que les compétences ferroviaires sont nationales. Comme pour les tunnels, les viaducs sont des infrastructures qui doivent être entretenues. Il n’est pas certain que les maintenir, en pensant leur donner une autre affectation, vaille le coût.
… Non !
Antoine Struelens, urbaniste et président de la coopérative vélogistique Molenbike
Le maintien et la reconversion de ces infrastructures est à privilégier. Leur démolition va à l’encontre du discours prônant l’économie circulaire. Sans oublier les coûts financiers et écologiques, car il ne s’agit pas d’ouvrages en acier, faciles à démonter – comme le viaduc de Koekelberg, transporté à Bangkok où il est toujours utilisé –, mais bien de structures en béton armé comme le viaduc Reyers. La démolition et reconversion en boulevard urbain de ce dernier a déjà coûté 27 millions. Et il ne faisait que 400 mètres de long, alors que Herrmann-Debroux dépasse le kilomètre.
À Auderghem, le boulevard urbain existe déjà à côté et sous le viaduc. Raser le viaduc, ce serait absurde. Le verduriser, par contre, prolongerait la promenade verte du chemin de fer (Beaulieu-Stockel) et créerait une coulée végétale entre le campus de la Plaine et la Forêt de Soignes. On compenserait, ainsi, en partie, la perte d’espaces verts que Bruxelles a connue entre 2003 et 2016.
À titre expérimental, on pourrait, les week-ends, permettre aux citoyens non motorisés de s’approprier la E411 entre Delta et la fin du viaduc Herrmann-Debroux. La moitié de sa largeur pourrait aussi être réservée à la circulation d’un bus en site propre afin d’assurer une connexion rapide entre Bruxelles et le Rand (qu’on doterait d’un parking de dissuasion). Le bureau d’urbanisme Cerau a récemment proposé de prolonger le métro vers Notre-Dame-au-Bois en utilisant le viaduc, plus économique qu’une extension souterraine. Transformer des viaducs autoroutiers en promenades vertes se fait d’ailleurs dans plusieurs villes à travers le monde, de São Paulo (Parque Minhocão) à Séoul (Seoullo 7017).