Tapez donc ‘SmartMove’ dans votre moteur de recherche ! Ainsi, vous pourrez découvrir le projet de future taxe bruxelloise au kilomètre pour tout véhicule circulant dans nos 19 communes. Rencontre avec Sven Gatz, Ministre bruxellois des Finances et du Budget, chargé de la mise en œuvre de ce projet largement subsidié par l’Europe à hauteur de 51 millions d’euros.
Rendre notre capitale plus conviviale, plus saine et plus prospère pour ceux qui y vivent, y travaillent et la visitent. Telle est la ville de demain que s’était fixé comme objectif le nouveau gouvernement bruxellois dans sa Déclaration de politique régionale de 2019.
Réduire le trafic automobile dans notre capitale, afin de préserver son environnement, faisait partie de cet accord.
Socialistes, Ecolos, Défi et libéraux flamands y sont donc allés de leur GoodMove en instaurant des zones 30, des piétonniers et des pistes cyclables sur les grands axes, tout en modifiant des sens de circulation pour rediriger le trafic de transit et apaiser certains quartiers.
Dans cette même… mouvance, le SmartMove nous arrive. Il s’agit d’une taxe pour circuler dans Bruxelles. Mais plutôt qu’opter pour un péage aux entrées de la ville, le Gouvernement bruxellois a misé sur un système totalement novateur de tarification au kilomètre parcouru.
Ce SmartMove est actuellement en phase de test car il faut notamment développer l’application, fixer les modalités, prévoir un cadre légal et se doter de nombreux équipements(dont environ 600 caméras avec reconnaissance de plaques (ANPR).
Pourquoi une taxe pour circuler dans Bruxelles ?
Sven Gatz : « Bruxelles est l’une des villes ayant la plus grande congestion automobile dans le monde. Si l’on s’y trouve dans les embouteillages, il faut compter 45 minutes de trajetsupplémentaires par conducteur et par jour. Selon l’OCDE, cela correspond à une perte économique de 1 à 2 % du PIB. Soit, si l’on ramène ça à Bruxelles, entre 850 millions et 1,7 milliard d’euros.
Or, si on diminue notre trafic de seulement 15 à 20 %, il n’y aurait plus ces tracas. Pour cela, il suffit simplement que chacun y circule un jour de moins par semaine. »
Qu’est-ce que SmartMove ?
Sven Gatz : « Plutôt qu’instaurer un système de péage urbain à l’entrée de la ville, nous avons opté pour une fiscalité automobile intelligente qui ne repose plus sur la possession de la voiture mais sur son utilisation. Chacun paie en fonction du moment d’utilisation de son véhicule et des kilomètres parcourus. Ainsi, la taxe ne sera pas d’application le week-end, ni les jours fériés. Il ne faudra également pas payer si on circule dans Bruxelles entre 19h et 7h du matin le lendemain. Il en coûtera plus si on circule en période de forte congestion, entre 7h et 10h ainsi qu’entre 15h et 19h, qu’en période de faible congestion (entre 10h et 15h). »
Quel sera le montant de cette taxe ?
Sven Gatz : « Les tarifs n’ont pas encore été fixés définitivement. Mais le montant minimal quotidien à débourser équivaudra au prix d’un ticket de de métro, soit entre 2,5 et 3 euros. Quant au montant maximum, il serait d’une petite dizaine d’euros. »
Le tarif variera-t-il selon les véhicules ?
Sven Gatz : « Le montant par kilomètre parcouru sera proportionnel à la cylindrée, aux CV fiscaux, de la voiture. Les véhicules électriques devront aussi s’acquitter de cette taxe, mais avec un montant plus bas, car l’objectif principal reste de lutter contre la congestion automobile. Les motos et les scooters y seront aussi soumis, mais à 25 % du tarif de base des voitures. Pour les camions, ils sont déjà soumis depuis 2016 à un prélèvement kilométrique (Vipass), perçu par des partenaires privés qui fournissent aussi les OBU calculant les kilomètres parcourus. »
Existera-t-il des exemptions ?
Sven Gatz : « Au niveau des tarifs et exonérations, les discussions sont toujours en cours.
Les véhicules de personnes à mobilité réduite (PMR) ne seront pas soumis à cette taxe. Tous les acteurs contribuant à diminuer la congestion automobile en seront également exemptés. Ce sera notamment le cas pour les véhicules de la STIB, De Lijn et de la TEC. Pour l’instant, il est aussi prévu d’exonérer les véhicules utilisés pour le transport collectif de passagers de catégorie M2 et M3 (> 8 personnes) car ils permettent de lutter contre la congestion du trafic. Il s’agit par exemple des autobus et des autocars. En revanche les véhicules de catégorie M1 (< 8 personnes), qui pourraient en théorie également être utilisés pour le transport collectif de passagers, ne sont pas exonérés pour éviter que certains ne soient tentés d’acquérir ce genre de véhicules pour éviter la taxe.
Des décisions sont encore à prendre concernant les véhicules de certains groupes professionnels comme les personnels de soins et les enseignants. Mais au plus de groupes exemptés, au moins cette mesure aura d’impact. »
Quelles sont les compensations à cette taxe ?
Sven Gatz : « Cette taxe remplacera les actuelles taxes de circulation pour les Bruxellois. Ils n’auront plus à s’acquitter de la taxe de circulation annuelle. Et la taxe de mise en circulation (TMC) ne sera maintenue que pour les voitures de luxe, à partir de 15 chevaux. Ces deux taxes rapportent annuellement environ 200 millions d’euros à la Région bruxelloise. Les rentrées engendrées par la taxe SmartMove sur les Bruxellois ne dépasseront pas ce montantpour tendre à l’équilibre.
Par contre, les rentrées venant de la taxe SmartMove payée par les navetteurs sont pour l’instant estimées à près de 200 millions d’euros par an. »
Seuls les Bruxellois disposeront donc de cette suppression de leur taxe de roulage. Cela doit faire grincer des dents dans les autres régions ?
Sven Gatz : « 600.000 personnes travaillent à Bruxelles, dont la moitié habite hors de Bruxelles. Cela suscite effectivement beaucoup d’émotion, surtout du côté wallon. Mais rien n’empêche d’étendre cette zone en dehors des 19 communes. Cela serait fort utile pour la Wallonie et la Flandre, qui mènent finalement le même combat que nous. »
En pratique, sur quelle base sera appliquée la taxe ?
Sven Gatz : « Chacun devra télécharger l’application sur son téléphone mobile, y enregistrer ses données, celle de son véhicule et sa plaque d’immatriculation. Si vous indiquez votre destination et votre heure de départ, l’application affiche une estimation du coût et de la durée du trajet. Elle vous propose aussi des alternatives et d’acheter directement un ticket de transport en commun ou de réserver une voiture ou autre véhicule partagés (trottinettes, scooters, vélos, taxis…) L’application calcule aussi l’impact de votre choix de transport… Elle comptabilise automatiquement les kilomètres parcourus et permet de régler automatiquement le montant dû. »
Quels sont les sanctions prévues pour les réfractaires ?
Sven Gatz : « Il y aura des amendes pour ceux qui ne téléchargent pas l’application ou y encoderaient de fausses données. Elles pourraient monter jusqu’à 750 euros. Mais il y aura une période de sensibilisation avant de passer à la répression. Pour ceux qui ne sont pas familiarisés avec l’informatique, il sera possible d’opter pour un système de puce électronique assortie au véhicule. »
Tout cela ne pose-t-il pas des problèmes liés à la protection de la vie privée ?
Sven Gatz : « On sait que les détracteurs du projet l’attaqueront notamment sur ce point-là. On s’attend aussi à des protestations et des recours concernant les tarifs par cylindrée et les exemptions. Si le trajet sera effectivement suivi depuis le point de départ jusqu’à l’arrivée, le parcours sera néanmoins crypté. »
Quand SmartMove sera-t-il effectif ?
Sven Gatz : « L’application est encore en phase de test. Il nous faudra acheter du matériel et trouver des partenaires et des intermédiaires pour gérer les différents aspects de cette taxe. Àchaque fois, il faudra passer par un appel d’offres avec un cahier des charges à fixer. En clair, il n’est plus envisageable de mettre en application durant cette législature. »
Quel est le budget inscrit pour la mise en œuvre de ce projet ?
Sven Gatz : « Un montant de 63,8 millions d’euros a été alloué à SmartMove, dont 51 millions d’euros sur fonds européens, qui interviennent donc à concurrence de 85 % du montant. »
Comment justifier l’importance de l’intervention européenne ?
Sven Gatz : « Cette taxe intelligente au kilomètre n’existe nulle part ailleurs, et Bruxelles serait pionnière en la matière. D’autres villes comme Londres, Oslo, Bogota ou le State of Washington préparent des systèmes similaires. Pour l’instant, chacun regarde un peu ce que l’autre va faire. »
N’avez-vous pas peur que des entreprises s’écartent encore plus de Bruxelles avec cette nouvelle taxe ?
Sven Gatz : « À Londres, certains quartiers sont délaissés car trop embouteillés. La fluidité du trafic est un argument pour faire venir des entreprises dans une ville, mais aussi utilisé par celles-ci pour attirer du personnel et des collaborateurs. Le développement économique d’une ville passe aussi par sa mobilité. »
Le PS bruxellois ne votera pas cette taxe au kilomètre
Le ministre régional du Budget déclare que SmartMove ne sera pas d’application avant 2025 pour des raisons techniques et de mise en œuvre. Cette date n’est pas innocente car elle vient juste après les élections régionales d’octobre 2024. Or, au sein du gouvernement bruxellois actuel, le groupe PS a déjà fait savoir qu’il ne voterait pas pour cette taxe kilométrique.
Ahmed Laaouej, président du PS bruxellois, nous en donne les motifs. « Dans la Déclaration de politique régionale, nous avions indiqué qu’il fallait des corrections sociales à cette taxe afin de ne pas alourdir les charges sociales des familles les plus précarisées, des familles nombreuses n’ayant pas d’alternative à la voiture. Or, ce n’est pas le cas. Par ailleurs, il existe déjà une taxe au kilomètre par le biais des accises sur le carburant. Un autre argument, c’est le principe de la loyauté fiscale qui veut un accord des deux autres régions. Or, la Wallonie y est totalement opposée. Enfin, nous voulons favoriser les transports en commun de façon plus positive qu’en taxant : nous proposons la gratuité des services de la STIB. »
On voit aussi mal, juste avant les élections, des partis de l’opposition apporter leur soutien à SmartMove. D’où, en l’absence de majorité, un report de la ‘patate chaude’ au gouvernement suivant.
Interview par
Julien Semninckx, journalist
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