Industrie bruxelloise, sa survie dépend-elle d'une nouvelle (r)évolution?

26 janvier 2018 par
BECI Community

Initiateur d’un remaniement managérial important au sein de son entreprise, le CEO de la Sabca estime que l’ industrie bruxelloise devra évoluer si elle veut survivre au développement des entreprises de service.

De nouveaux enjeux pour l’industrie

Bruxelles Métropole : Selon vous, n’est-il pas possible de concilier industrie et service dans la capitale ? 

Thibauld Jongen : C’est une question vaste et délicate. En tant que citoyen et en tant qu’ingénieur, je vois évidemment que, dans les pays développés, en particulier la Belgique, l’ industrie manufacturière est en train de disparaître. Je pense qu’il est essentiel de garder des jobs à haut caractère industriel, bien qu’ici, à Bruxelles, comme dans le reste de la Belgique, le prix du travail soit assez élevé. Concilier industrie et service est pour moi une mission essentielle. Cela nous évitera d’acheter nos produits plus cher à l’étranger, et notamment en dehors de l’Union Européenne.  Pour moi, c’est un challenge dont le succès passera par une plus grande partie d’automatisation, de digitalisation et de robotisation. Dans ces domaines, les entreprises et l’ingénierie belge peuvent réellement trouver leurs compétences. Nous avons un bel historique dans le domaine de l’innovation. Par contre, l’industrie d’assemblage pure ou à moindre valeur ajoutée sera de plus en plus difficile à maintenir. Nous devrons prendre un tournant industriel important. L’ industrie bruxelloise et belge pourra continuer à offrir des produits manufacturés, mais les conditions de production seront différentes. Nous n’aurons plus de lignes de production comme aujourd’hui, où les ouvriers font un travail répétitif. Ces tâches seront sûrement automatisées ou délocalisées, là où la main d’œuvre coûte moins cher. Il faut donc que l’on se redéfinisse.

L’automatisation ou la numérisation ne sont-elles pas synonymes de moins d’emploi ?

Certains disent que l’automatisation va supprimer des emplois, d’autres qu’elle va en créer de nouveaux, et je pense que les deux ont raison. On aura moins besoin d’opérateurs, et d’ouvriers qui font un travail répétitif, mais d’autant plus d’ingénieurs et de techniciens spécialisés, capables de réparer les robots et de les maintenir. Les institutions auront aussi leur rôle, qui est d’aider à cette transformation et de probablement redéployer un certain nombre de personne pour les requalifier dans d’autres types de métiers.

Quel est l’état actuel des choses à Bruxelles ?

Bruxelles possède un tissu de PME innovantes. Les entreprises bruxelloises sont capables d’offrir ces services de robotisation et de digitalisation. Les solutions sont de plus en plus prêtes, mais pas encore sur l’étagère. Il faut donc que les mentalités changent et que les industriels, comme Sabca, dégagent les moyens financiers et les moyens humains pour mettre ça en place.

Cette transformation numérique, vous essayez donc de la mettre en œuvre chez vous ?

C’est notre intention ; on a lancé un grand plan de transformation de Sabca. Nous sommes en perte depuis trois ans et nous avons de gros enjeux en termes de robustesse, de compétitivité et de profitabilité. Ma mission, pour l’instant, est donc de redresser la situation pour dégager des moyens et investir dans la transformation digitale.

 

Le plan de redressement de la Sabca

Comment Sabca fait-elle pour se redresser, dans un domaine très compétitif où l’innovation est primordiale ?

Nous nous basons sur la motivation et la compétence du personnel. Sabca est l’une des plus vieilles entreprises aéronautiques n’ayant pas changé de nom en Belgique, et la deuxième la plus vieille du monde après Boeing. Nous allons d’ailleurs fêter notre centenaire dans trois ans. Ce qui veut dire que nous avons dû passer par beaucoup de transformations, de crises… Celle que nous rencontrons est une crise majeure, car un certain nombre de contrats solides vont se terminer dans quelques années. Il nous faut donc trouver des relais de croissance mais, pour cela, il faut qu’il y ait un marché porteur et qu’on y soit compétitifs. On trouve dans l’aviation civile un carnet de commande assez exceptionnel, mais la chaîne d’approvisionnement a déjà été déterminée et les gros marchés sont attribués. La difficulté est donc, pour les entreprises contractées, de pouvoir livrer leurs commandes à temps. On ne verra pas de nouvelles commandes d’avion avant quelques années ; nous devons donc être prêts à redémarrer au moment où de nouveaux programmes d’avions seront lancés. Pour cela, nous travaillons avec le personnel et les partenaires sociaux pour augmenter la productivité et revoir le taux d’activité, c’est-à-dire le nombre d’heure de productivité par rapport au nombre d’heures de présence sur site. Nous avons beaucoup d’enjeux en termes de mentalité, d’attitude et de discipline, et on cherche à recréer le contexte de performance qui était le nôtre, pour remettre Sabca parmi les meilleurs du monde dans le secteur aéronautique.

 

Quel modèle pour le futur?

Souhaitez-vous un modèle de free entreprise où le pouvoir décisionnaire pencherait davantage du côté de la production ?

C’est bien notre intention ! Je ne sais pas si on y est déjà, mais le plan de transformation lancé il y a un an vise à renforcer la culture d’entreprise et remettre le client au centre, comme s’il était présent dans l’atelier. C’est une image, bien sûr, mais nous avons de nouveaux processus et des programmes qui défendent l’intérêt du client à l’intérieur de nos sites. C’est le cœur de notre changement : les programmes de productivité deviennent la colonne vertébrale de Sabca. Ils permettent aux clients de rentrer virtuellement chez Sabca et deviennent la source de processus. Les programmes fournissent également des objectifs en termes de coûts, de délais, de qualité aux unités de production. Ils sont donc aussi responsables de la performance économique. Il nous faut trouver l’équilibre entre la satisfaction client et les intérêts économiques de l’entreprise.

Nous avons remodelé fortement l’organisation et l’organigramme de l’entreprise. Sabca est maintenant divisée en unités de production qui délivrent leurs services et leurs produits aux programmes, qui eux les délivrent aux clients finaux. Mon objectif est également que les gens rapportent au plus haut niveau hiérarchique possible, pour que celui-ci ait l’empreinte la plus large possible. Dans ce but, nous avons lancé One Sabca, qui regroupe le management de nos quatre sites de Bruxelles, de Gosselies, du Limbourg et de Casablanca  au Maroc, alors que nous avions jusqu’à présent un Head Manager par site. Je trouvais ça un peu excessif, alors que Sabca n’est pas une si grosse entreprise : nous sommes 1200 personnes en tout. Tout cela a permis de rendre l’organisation plus plate, d’avoir des contacts plus forts et de responsabiliser la hiérarchie. Mon rôle à moi est de fournir les moyens pour que cela fonctionne, en termes de ressources, en termes financiers, mais aussi de compétences, pour que les gens soient capables de prendre leurs responsabilités. Idéalement, je ne devrais prendre aucune décision pour inciter les autres à les prendre.

Avec quels résultats ?

Il est encore trop tôt pour voir des résultats alors que le plan, lancé en janvier 2017, doit porter sur trois ans. Jusqu’à présent, les paramètres sont au rendez-vous quant aux actions prises et aux résultats. Typiquement sur le projet A350, nous avions beaucoup de retard et Airbus était très mécontent. Nous avons maintenant deux livraisons d’avance. Mais cela reste fragile. Il reste beaucoup à faire pour que Sabca devienne encore plus robuste. Cela passe aussi par une réorganisation du temps industriel. Il faut que nous réfléchissions sur les métiers que Sabca doit conserver, ceux sur lesquels nous ne sommes pas les meilleurs et que nous devrions sous-traiter. Nous avons donc une grosse action de révision stratégique.

Vous avez annoncé au salon du Bourget, en juin, une extension de vos activités aux drones. L’innovation n’a donc pas disparu de chez Sabca ?

Nous n’avons pas mis l’innovation sur le côté, mais notre priorité est de nous redresser pour travailler correctement. Nous nous sommes lancés dans les drones récemment pour poser des actes et prendre des positions. Les drones sont une expansion assez naturelle de nos métiers historiques : ce sont des avions sans pilote et ils représentent donc toute une suite de services pour lesquels nous avons une expertise. Nous sommes pour l’instant en train d’explorer le marché et espérons passer assez vite à des choses plus concrètes. Nous sommes convaincus d’avoir la taille idéale pour cela. Nous ne sommes pas trop petits – ce qui veut dire que nous avons tout de même une crédibilité et une image de marque sur le marché aéronautique – mais nous gardons une taille humaine. Nous restons donc flexibles, à l’écoute du client, et nous parvenons à être suffisamment agiles pour prendre des positions dans les marchés émergents.

 

« L’ industrie bruxelloise et belge pourra continuer à offrir des produits manufacturés, mais les conditions de production seront différentes. »

BECI Community 26 janvier 2018
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