L’enseignement en alternance raffermira le marché du travail et la motivation des étudiants. Audi Brussels en est totalement convaincu.
Pas facile de trouver des talents pour des métiers en pénurie tels que technicien en électromécanique ou soudeur-construction. Par manque de compétences techniques, les rares candidats tardent à devenir opérationnels. D’où l’engouement pour la formation en alternance, partiellement dispensée dans l’environnement professionnel. Les Communautés flamande et française ont pris, à Bruxelles, une série d’initiatives en ce sens.
Les instances flamandes de Bruxelles ont lancé plusieurs écoles pilotes en 2016. Le décret flamand relatif à l’enseignement en alternance entrera en vigueur en septembre 2019, permettant à toutes les écoles d’intégrer le système. Aujourd’hui, le 3e degré du secondaire technique et professionnel organise déjà cet enseignement en alternance dans les secteurs de l’électromécanique, de la soudure-construction et de la mécanique. Dans l’intervalle, des entreprises bruxelloises telles qu’Audi et ThyssenKrupp accueillent des étudiants. Dès l’année scolaire prochaine, l’entreprise Schindler, confrontée à une pénurie de techniciens d’ascenseur, fera de même.
La Flandre envisage d’élargir l’enseignement en alternance à la 7e année de spécialisation et à l’enseignement supérieur (dans des spécialités telles que l’automatisation industrielle, la maintenance industrielle, etc.). En Communauté française, la formation en alternance concerne notamment des soudeurs, électriciens ou encore techniciens en électromécanique. Deux hautes écoles (Ecam et Ichec) organisent par ailleurs un ‘master en alternance’ de business analyst IT pour 25 étudiants. Ils seront deux fois plus nombreux dès l’année prochaine.
Une attitude plus posée
Audi Brussels collabore avec une école néerlandophone (TA Halle) et une francophone (Don Bosco Woluwe-Saint-Pierre). Les étudiants en électromécanique se familiarisent à la robotique en usine et reçoivent une formation aux programmable logic controllers (des dispositifs à microprocesseur pour piloter des machines). Audi met ces équipements à la disposition des deux écoles et d’Iris Tech+ (le centre de référence des métiers du métal et de la technologie). « Dans le temps, certains jeunes apprenaient à travailler sur des machines un peu dépassées », explique René Konings, responsable pour la Région de Bruxelles auprès de la fédération technologique Agoria. « Avec la nouvelle démarche, les enseignants aussi suivent les évolutions technologiques et les modes opératoires des entreprises d’aujourd’hui. »
Se familiariser aux techniques de pointe est un atout, mais par le seul, selon Heleen Devriese, coordinatrice de l’apprentissage en alternance chez Audi. « Les jeunes sans expérience professionnelle découvrent l’importance des ‘soft skills’ : ponctualité, attitude, connaissance des langues… Si des problèmes se posent dans ces domaines, nous tentons d’y faire face le plus tôt et le plus positivement possible. »
Maggy Vankeerberghen, la directrice du Technisch Atheneum Halle, constate que dans l’enseignement en alternance, les élèves peinent parfois à soutenir le rythme et le niveau qui prévalent chez Audi. « Ils remarquent rapidement que les retards ne sont par exemple pas appréciés. Par ailleurs, ils découvrent par l’enseignement pratique ce à quoi sert réellement tout ce qu’ils ont appris à l’école. Cela les incite à adopter une attitude plus posée. Ils deviennent plus rapidement adultes. »
Le mentor et l’interlocuteur
Les élèves du TA Halle passent environ cinq semaines chez Audi. Ils y reçoivent d’abord des exercices pratiques sur des appareils de l’entreprise, sous la supervision d’un instructeur d’Audi ou de leur propre professeur. Vient ensuite un stage de deux semaines, où ils appliquent ce qu’ils ont appris au cours. « La sécurité reçoit évidemment une attention toute particulière. L’attitude correcte et la discipline sont essentielles », estime Maggy Vankeerberghen. Les jeunes travaillent aussi en groupes restreints pendant quatre jours, le temps d’une épreuve intégrée qui consiste à analyser un problème et à améliorer le processus.
Les collaborateurs d’Audi qui encadrent les étudiants suivent une formation de mentor. « Leur mission consiste à donner des explications techniques aussi structurées et simples que possible, pour que les jeunes puissent les intégrer », explique Heleen Devriese. « Ils doivent savoir également comment donner du feed-back aux élèves. Le mentor est leur premier interlocuteur. Ils débouchent dans une vaste usine et il n’est pas question qu’ils s’y perdent, au propre comme au figuré. » Le mentor, lui, se réfère à ses fiches pédagogiques : elles mentionnent les critères d’évaluation et la matière à aborder.
Les enseignants reçoivent dès lors un autre rôle. « Ils interviennent plutôt comme des coaches qui encadrent les élèves individuellement », dit Maggy Vankeerberghen. « Ils les guident dans la mesure où la matière ne provient plus exclusivement de l’école. Bref, où trouver quelles connaissances et comment appréhender l’information de manière critique ? La numérisation réoriente l’enseignement vers les compétences du XXIe siècle, notamment la flexibilité et la capacité à travailler en équipe. »
Auto-évaluation
La concertation est continue. La coordinatrice Heleen Devriese se réunit plusieurs fois par mois avec les écoles pour assurer un suivi rapproché. « Nous réexaminons le programme d’apprentissage chaque année. Étant donné que nous lançons la production de l’Audi e-tron 100 % électrique, nous adaptons aussi la formation des jeunes. Précédemment, nous avons déjà modifié l’évaluation des ‘compétences douces’. Nous venons par exemple d’instaurer l’auto-évaluation. »
Heleen Devriese est formelle : l’apprentissage en alternance a déjà permis à Audi de détecter des talents qui seraient sans doute passés inaperçus. Aujourd’hui, environ la moitié des étudiants qui réussissent leur formation décident de poursuivre leurs études (une 7e année ou l’enseignement supérieur). L’autre moitié signe un contrat chez Audi. « Nous voulons réellement offrir des perspectives », déclare la coordinatrice. « Nous gardons aussi le contact avec ceux qui entament des études supérieures. Nous suivons leur parcours parce que leur profil pourrait être intéressant pour nous dans l’avenir. »
Pas la panacée contre le ras-le-bol scolaire
René Konings estime, chez Agoria, que les entreprises souhaitent davantage d’écoles bruxelloises dans l’enseignement en alternance. « Ce type d’enseignement est fondamental dans le secteur technologique. Il renforce le marché du travail et améliore la motivation des élèves. Ces jeunes développent de meilleures compétences. Ils nous disent qu’après avoir expérimenté l’enseignement en alternance, ils ne veulent plus retourner à l’enseignement classique. Nous considérons cette nouvelle formule comme l’apprentissage de demain. »
Aux responsables politiques, René Konings adresse ce message : ne considérez pas seulement l’enseignement en alternance comme une solution pour les jeunes sous-qualifiés et ceux qui sont au chômage. Ce n’est certes pas la panacée contre le ras-le-bol et l’échec scolaires. Maggy Vankeerberghen abonde : « L’enseignement en alternance peut induire un changement de paradigme. L’école qui, aujourd’hui, se cramponne au tableau noir et à la craie est condamnée à perdre des élèves. Et puis, ne feignons pas d’ignorer que les élèves d’une classe présentent des niveaux différents. Si l’enseignement est conçu pour l’élève moyen, vous sacrifiez les meilleurs et les moins bons. Nous devons être ouverts au monde des jeunes et leur donner davantage de responsabilités. L’objectif est qu’ils s’approprient davantage le processus d’apprentissage. »
L’apprentissage en alternance doit recevoir le même label de qualité qu’en Allemagne et en Suisse, où ce système s’appuie sur une longue tradition. Les écoles qui veulent le mettre en œuvre ont besoin d’au moins un an pour s’y préparer. « Au cours de cette période, l’école et l’entreprise constituent une communauté d’apprentissage où on réfléchit à la façon d’organiser concrètement la formation dans l’environnement professionnel », dit René Konings. « Cela demande un engagement considérable de tous les intervenants. L’apprentissage en alternance doit bénéficier de l’appui de tous et d’une grande confiance entre l’école et l’entreprise. » Les entreprises ou les écoles qui veulent intégrer l’enseignement en alternance doivent comprendre qu’il s’agit d’un projet particulièrement prenant. Comme le dit Heleen Devriese, « tout est une question de communication. Si vous n’y croyez pas à 100 %, il vaut mieux ne pas vous lancer. »