La pandémie que nous traversons tant bien que mal actuellement a amené de nombreuses personnes, économistes ou pas, à remettre sur la table le sujet, actuellement très consensuel, de la relocalisation de l’économie. Toute la question aujourd’hui est de savoir dans quelle mesure ce modèle répond aux ambitions d’une économie moderne, dynamique et durable.
Dans les prévisions qu’il vient de rendre suite à la crise sévère que nous traversons actuellement avec le Covid-19, le Fonds Monétaire International a établi ce 14 avril des scénarios qui prédisent une contraction sévère de l’économie en Europe, mais aussi partout ailleurs dans le monde. Dans nos contrées, le recul sera de 3,1%. Et si le FMI table sur un rebond possible de 5,8% en 2021, l’économiste en chef de l’institution Gita Gopinath précise aussitôt que ces prévisions sont marquées par « une extrême incertitude » et que la réalité pourrait être « bien plus sombre » si l’évolution de la pandémie ne correspond pas aux projections actuelles.
Apôtres de la décroissance
Face à ces perspectives, on a vu ressurgir en force les partisans de la déglobalisation. Et parmi eux, les apôtres de la « décroissance sauvage » qui voient dans cette pandémie l’occasion rêvée pour détruire « un modèle dans lequel ils ne veulent pas se reconnaître ». Pour l’économie belge, en ce compris pour l’économie bruxelloise pourtant plus orientée vers les services, ce mouvement de la déglobalisation pose, il faut bien l’admettre, un certain nombre de questions. Comme l’économiste de la BNB Emmanuel Dhyne l’a souligné in tempore non suspecto lors de la 23ème édition du Congrès des économistes, poser la question de la déglobalisation n’amène pas seulement à pénaliser les pays (asiatiques notamment) avec lesquels on faisait commerce jusqu’ici (…) Cela fragilise également un large pan du tissu entrepreneurial domestique qui devra se procurer ailleurs des produits à des conditions moins favorables ».
La question du blé russe et des masques respiratoires
Au-delà des conditions de résilience de l’économie déglobalisée que pose Emmanuel Dhyne, interviennent une série de questions de nature géo-politique. Avec la crise, on a vu par exemple la Russie. Il y a quelques jours, dans les colonnes du Sillon Belge, on apprenait le risque de flambée des cours des céréales du fait de la limitation par la Russie de ses exportations de blé, de seigle, d’orge et de maïs afin de réorienter sa production à la satisfaction de la demande locale, mise sous pression par la crise du Covid-19. Un remake de la crise pétrolière des années ’70 en quelque sorte. Cette conséquence pas forcément attendue de la crise sanitaire donne des arguments aux partisans d’une relocalisation d’activités aussi stratégiques que des grains de blé ou des masques respiratoires, qu’il s’agisse des très convoités FFP2 ou même de simples masques chirurgicaux…
Un achat, un vote
Visiblement, la crise du Covid-19 aura eu cette conséquence positive d’avoir amené les politiques à (se) poser quelques questions économiques intéressantes. Quels secteurs jusqu’ici délaissés devrions-nous aider? Quelles aides leur apporter au-delà des aides d’urgence saluées par BECI? Quels cadres poser à un niveau européen pour leur donner les garanties de pouvoir exister par-delà la crise? Pour Geoffrey Pleyers (UCL), sociologue, chercheur FNRS et auteur du livre « Alter-Globalization. Becoming Actors in the Global Age » (2), cette dernière question est importante car les crises ont ceci de particulier qu’on en oublie très vite les effets et les conséquences. Et qu’une fois poussés par la porte, les effets négatifs de la globalisation ont vite fait de ressurgir par la fenêtre. Dans ces conditions, comme le chercheur engagé le signalait de manière prémonitoire en 2013, dans une économie globalisée, « chaque achat du consommateur individuel pourrait devenir un vote et se verrait d’emblée attribuer une portée globale ».
(1) en Belgique notamment.
(2) Geoffrey Pleyuers, « Alter-Globalization. Becoming Actors in the Global Age », Cambridge, 2010, 301 pages ISBN 9780745646763