Discrimination et relation de travail : quels pièges éviter ?

20 juin 2023 par
BECI Community

Être employeur implique de poser des choix difficiles : départager des candidats, offrir une promotion au meilleur collaborateur ou choisir quels collaborateurs licencier dans le cadre d’une réorganisation. Quels sont les pièges à éviter en matière de discrimination sur le lieu de travail ?

Ces situations sont loin d’être anecdotiques et font nécessairement des déçus. Certains employeurs sont ainsi parfois confrontés à l’accusation d’avoir discriminé. Comment s’en prémunir ? 

Liste « fermée » de critères protégés en matière de discrimination

Le cadre belge en matière de discrimination se compose de trois lois adoptées le 10 mai 2007 :

– La première lutte contre les discriminations sur la base de la nationalité, la race, la couleur de peau, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique.
– La seconde vise les discriminations entre hommes et femmes. Cette loi a depuis évolué pour inclure la grossesse, la procréation médicalement assistée, l’accouchement, l’allaitement, la maternité, les responsabilités familiales, l’identité de genre, les caractéristiques sexuelles et le changement de sexe.
– La troisième vise diverses formes de discrimination (âge, orientation sexuelle, état civil, naissance, fortune, religion et convictions philosophiques, politiques ou syndicales, langue, état de santé, handicap, caractéristiques physiques ou génétiques et origine sociale).

 

Ce cadre est complété par d’autres instruments visant certaines formes de discrimination (hommes et femmes en matière de rémunération, travailleurs à temps plein et à temps partiel, travailleurs sous contrat à durée déterminée et à durée indéterminée).

Sauf en matière de pensions complémentaires, la législation belge a opté pour un système « fermé » : il n’est question de discrimination que si une différence de traitement se fonde sur l’un des critères limitativement visés ci-dessus. A défaut, aucune discrimination n’est possible.

La suite de cet article se concentre sur les trois lois du 10 mai 2007.

Discrimination directe vs. discrimination indirecte

Il est question de discrimination directe lorsqu’une personne est traitée moins favorablement qu’une autre dans une situation comparable, sur base d’un critère protégé et sans justification.

Le fait d’engager un travailleur « belge » plutôt qu’« étranger », le fait de ne pas promouvoir une femme enceinte ou de licencier un travailleur malade sont autant d’exemples de discriminations potentielles.

Il est question de discrimination indirecte lorsque des dispositions, pratiques ou politiques apparemment neutres entrainent un désavantage pour des personnes présentant un critère protégé, sans justification.

Pourrait ainsi constituer une discrimination indirecte une restructuration dans le cadre de laquelle les travailleurs les moins « performants » (critère apparemment neutre) sont licenciés, s’il apparaît que ceci conduit à licencier systématiquement les travailleurs les plus âgés (critère protégé).

Justification des différences de traitement dans le cadre du travail

Raisons autres qu’un critère protégé

Il n’y a discrimination que si une décision se fonde sur un critère protégé.

Le licenciement d’un travailleur malade n’est donc pas discriminatoire s’il résulte, en réalité, d’autres critères (p.ex. disparition de la fonction ou réel souci de performance). Le refus d’engager un travailleur d’origine étrangère n’est pas discriminatoire si réellement fondé sur d’autres considérations (p.ex. plus grande expérience du candidat concurrent).

But légitime et moyens appropriés

Dans certains cas, une décision basée sur un critère protégé ne sera pas considérée discriminatoire si elle est justifiée par un but légitime et que les moyens de réaliser ce but sont appropriés.

Les tribunaux acceptent généralement que le licenciement d’un travailleur malade n’est pas discriminatoire lorsque son absence a un réel effet désorganisant. La prudence s’impose néanmoins : les juges vérifient minutieusement que le licenciement constituait une mesure raisonnable et proportionnée dans le contexte auquel était confronté l’employeur.

Exigence professionnelle déterminante

Certaines distinctions ne peuvent être justifiées que par des exigences professionnelles déterminantes (âge, orientation sexuelle, convictions religieuses ou philosophiques, handicap, race, couleur de peau, ascendance, origine nationale ou ethnique et sexe).

Une exigence professionnelle déterminante est une exigence à ce point fondamentale qu’elle autorise une distinction directe sur la base d’un critère protégé. Ainsi, l’engagement d’une actrice pour un rôle de femme enceinte ne se conçoit que pour une femme. Hormis ce type de situations (très rares en pratique), toutes distinctions se fondant sur l’un des critères ci-dessus sont interdites.

Preuve et indemnisation de la discrimination

Lorsqu’une discrimination est alléguée, la charge de la preuve est partagée. Il suffit à la victime d’apporter des éléments permettant de présumer une discrimination pour qu’il revienne à l’employeur de démontrer le contraire.

Une apparence de discrimination crée donc une vulnérabilité pour l’employeur s’il ne dispose pas d’un dossier solide.

En cas de discrimination, une indemnité est due par l’employeur (indemnité forfaitaire égale à maximum 6 mois de rémunération brute ou, hypothèse moins fréquente, dommages et intérêts correspondant au préjudice réellement subi).

Protection contre les mesures préjudiciables en cas de plainte ou d’action en justice

Dans le cadre d’une relation de travail, tout collaborateur s’estimant victime de discrimination peut déposer une plainte ou introduire une action en justice pour mettre fin à cette situation. Une plainte crée une protection contre les mesures préjudiciables (licenciement, absence de promotion, etc.) pendant 12 mois. En cas de procédure judiciaire, cette protection dure jusqu’à 3 mois après la décision judiciaire (finale). La charge de la preuve de l’absence de lien avec la plainte ou l’action repose sur l’employeur. S’il n’arrive pas à rapporter cette preuve, une indemnité complémentaire (6 mois de rémunération ou dommages et intérêts réparant le préjudice réel) sera due.

Les témoins, les personnes qui rapportent des infractions et celles qui offrent conseil et assistance aux victimes, ainsi que celles qui dénoncent une violation des lois anti-discrimination (sans être victimes) bénéficient de la même protection.

Discrimination et relation de travail : Gare à (l’absence de) documentation

Tout employeur a l’obligation de prévenir les discriminations. Il est donc important de sensibiliser son personnel à ces enjeux et de prendre des mesures concrètes de détection des situations à risque. La promotion d’une culture de diversité limite aussi les risques de comportements discriminatoires.

Malgré ces politiques, le risque qu’un collaborateur s’estime discriminé ne peut jamais être écarté. L’employeur prudent veillera donc à disposer d’une documentation permettant de justifier ses décisions. Ces documents, établis au moment de la prise de décision, permettront ainsi d’expliquer en quoi une décision apparemment discriminatoire ne l’est en réalité pas.

L’on pense aux documents suivants :

Evaluation écrite, détaillant les qualités et défauts du candidat, dans le cadre du recrutement. Cette évaluation pourra être communiquée sur demande.
Documentation permettant de justifier le (non-)octroi d’une promotion, d’un bonus ou d’une augmentation salariale, ou encore un licenciement. La rédaction de rapports d’évaluation reflétant fidèlement les prestations est dans ce cadre cruciale.

L’absence d’une telle documentation risque de laisser l’employeur démuni en cas de demande d’indemnisation. Un employeur averti en vaut deux !

À propos des auteurs

Heleen Franco, Senior Associate, AKD Benelux Law Firm & Nour Riyahi, Junior Associate, AKD Benelux Law Firm & Julien Hick, Belgian Employment Law Partner at AKD Benelux lawyers

 

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BECI Community 20 juin 2023
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