On trouve à Bruxelles pas moins de 20 organisations de l’Union Européenne, 29 écoles internationales, 5.400 diplomates et au moins 20.000 lobbyistes. Notre ville porte donc bien son nom de capitale de l’Europe. Selon les dernières statistiques de l’Institut Bruxellois de Statistiques et d’Analyse (IBSA), on observe une recrudescence du nombre d’habitants venus d’autres parties du monde, notamment d’Asie. Comment vit-on en tant qu’expatrié à Bruxelles ? Nous avons posé la question à 5 Bruxellois d’adoption.
Lynn Wei, 34 ans, originaire de Shanghai (Chine)
Docteur en médecine chinoise à Shanghai, Lynn habite à Bruxelles depuis 6 ans. Elle y est venue pour un cursus de spécialisation à la VUB et travaille aujourd’hui en tant qu’acupunctrice au La Cambre Medical Center.
Je ne connaissais rien de Bruxelles ni de la Belgique avant d’arriver. La seule chose dont j’avais entendu parler, c’est l’architecture de Bruxelles et les beaux bâtiments que l’on trouve ici. Durant mes 6 années de vie ici, j’ai trouvé beaucoup de choses intéressantes à faire. Il y a aussi beaucoup de concerts, d’événements culturels… Je m’intéresse beaucoup à la littérature française également, et à la philosophie. Et j’apprends beaucoup sur la ville via la Brussels Academy. J’ai découvert le surréalisme et la belgitude, le design de meubles flamands. J’aime aussi la diversité de cuisines que l’on trouve à Bruxelles. Sinon, il y a beaucoup de magasins de seconde main, des librairies, des voitures partagées… Toutes ces choses que l’on ne trouve pas nécessairement à Shanghai.
Comment comparez-vous Bruxelles et Shanghai ?
Les deux villes sont très différentes, principalement de par nos cultures. La population de Shanghai est bien plus importante que celle de Bruxelles – et même de la Belgique toute entière. Mais Shanghai, comme Bruxelles, est très cosmopolite. On a des gens de toute l’Asie qui viennent travailler chez nous ; nous sommes très ouverts d’esprit, mais il y a beaucoup de compétition, et beaucoup d’opportunités. La plus grande différence, je pense, c’est qu’à Shanghai la vie va très vite. On mange rapidement, on marche rapidement. Ici, c’est plus relax. Sinon, je trouve qu’à Bruxelles, il y a aussi beaucoup d’expats. Ceux qui travaillent pour les institutions européennes, bien sûr, mais aussi des étudiants, notamment des étudiants chinois, qui sont de plus en plus nombreux.
Est-ce qu’il y a des choses que vous n’aimez pas à propos de Bruxelles ?
Je pense qu’il n’est pas si facile de se faire des amis. Mais, si vous avez réussi à rentrer dans l’intimité d’un Belge, vous serez amis pour la vie ! Au début, j’ai trouvé que les gens ici étaient assez conservateurs et pas si faciles à approcher. Pour moi, au début, c’était difficile car je ne parlais pas du tout le français, et la culture était très différente de la mienne. Mais heureusement, j’ai été aidée par l’université, et je me suis fait des amis belges, souvent plus âgés que moi, qui m’ont donné beaucoup de conseils pratiques.
Y a-t-il des choses qui vous manquent de Chine? Est-il agréable, en tant que Chinoise, de vivre à Bruxelles ?
Ma famille, mes parents me manquent, donc je retourne en Chine une à deux fois par an. Mais sinon, je trouve presque tout ce dont j’ai besoin à Bruxelles. D’ailleurs, je vois que la communauté chinoise grandit à Bruxelles. Il y a beaucoup d’étudiants car les universités créent des masters exprès pour eux, mais aussi des familles de classe moyenne et parfois même assez huppées, qui viennent ici pour bénéficier d’une meilleure éducation pour leurs enfants, d’un air moins pollué, et d’une nourriture saine.
Combien de temps pensez-vous rester à Bruxelles ? Pensez-vous retourner en Chine plus tard ?
Je ne sais pas si je resterai ici toute ma vie, mais pour l’instant je suis contente. J’ai deux jobs dans des cliniques, je continue mes cours de français et j’apprends aussi le violon. J’aimerais aussi faire un doctorat et je cherche un superviseur. Si je le trouve, je resterai 4 à 5 ans de plus.
Massimo et Lucia Serpieri (50 ans), de Rome, Italie
Massimo travaille pour la Commission européenne et Lucia travaillait pour le lobby Telecom Italia jusqu’à l’an dernier. Ils vivent à Bruxelles depuis 18 ans. Ils ont trois enfants, une fille de 17 ans et des jumeaux de 13 ans.
Comment comparez-vous Rome et Bruxelles ?
Massimo : Rome est une ville assez chaotique alors que l’on voit en Bruxelles une ville humaine où il est plus facile de planifier sa vie. En Belgique, nous remarquons que les gens vivent dans une dimension locale, ils sont très attachés à leur commune et pourtant il y a, à Bruxelles, une forte présence d’expatriés comme nous. Les expats pensent parfois que les Belges sont plutôt fermés et qu’il est parfois un peu difficile d’établir un pont entre les deux mondes.
Lucia : D’un autre côté, il est vrai qu’il est parfois plus simple de retrouver des amis qui parlent votre langue et comprennent votre humour lorsque vous sortez du boulot, mais nous avons des amis de partout.
Y a-t-il des choses qui vous plaisent ou vous déplaisent à Bruxelles?
Lucia : J’aime beaucoup l’offre artistique que l’on trouve ici. On peut aller à l’académie communale et prendre des cours de ce que l’on veut pour pas cher. Nous avons trois enfants et pour eux, c’est génial ; il y a beaucoup de sports et de loisirs. Ils grandissent aussi dans une ambiance moins stressante que dans d’autres villes comme Paris ou Rome, et ici on les laisse facilement prendre le bus pour se rendre à leurs activités.
Massimo : Il est vrai cependant que, depuis les attentats, il règne un sentiment de nervosité et d’insécurité dans la communauté des expats. Les sujets de l’immigration et du terrorisme restent sensibles.
Lucia : Moi, ce sont les lenteurs administratives qui me préoccupent. On paye pourtant près de 50 % d’impôts sur nos salaires et dernièrement, pour refaire ma carte de résidente, j’ai dû attendre très longtemps. Je pense que tout cela est dû à une multiplication de décisions et de coûts qui organisent des retards.
Pensez-vous rester à Bruxelles toute votre vie, ou rentrer en Italie à la fin de votre carrière ?
L’Italie nous manque beaucoup durant la belle saison ; la météo belge est souvent capricieuse. Nous pensons donc garder un pied à terre ici, mais vivre en Italie la majeure partie de l’année. C’est vrai qu’avoir un petit appartement dans la capitale de l’Europe, c’est pratique. Nous sommes habitués à la vie culturelle ici et je pense qu’elle nous manquera, puis ça nous permettra, à nous et à nos enfants, de venir voir nos amis à Bruxelles.
Meisoon Nasralla (39 ans), originaire de Manchester, Grande-Bretagne
Arrivée à Bruxelles il y a 5 ans, Meisoon travaille pour une agence de communication.
Quelle idée aviez-vous de Bruxelles avant d’arriver ?
Quand j’ai visité Bruxelles pour la première fois, avant de décider de m’y installer, je ne connaissais personne ici, c’était il y a presque 16 ans. À l’époque je n’ai pas vraiment été impressionnée par la ville. La Grand-Place et tout ce quartier, c’est très beau, mais ça ne m’avait pas vraiment convaincue de venir vivre ici. Puis après, je suis revenue plusieurs fois et mes amis m’ont montré des quartiers de la ville que je ne connaissais pas, comme Matongé, le quartier Saint-Boniface, et le Châtelain qui est juste à côté. Tous ces quartiers ont leur propre caractère et je pense que c’est le secret de Bruxelles : on ne voit pas sa beauté au premier coup d’œil, comme à Paris, Rome ou Londres, mais cette ville a un vrai charme. Il se passe énormément de choses ici. Si vous grattez un peu, vous pouvez être sûr de trouver quelque chose qui vous intéresse.
Et si on compare avec d’autres villes où vous avez vécu ?
Je pense que si j’aime tant Bruxelles, c’est parce qu’elle me rappelle Manchester d’un certain côté. Bruxelles est très facile à vivre, il y a beaucoup de choses qui s’y passent. C’est une ville qui a son identité propre et je pense que les gens qui choisissent d’habiter ici gagnent à être connus. Ici, j’ai rencontré des gens de plein de nationalités et de cultures différentes, et donc on apprend tellement des autres. Cette année, par exemple, j’ai célébré la Pâque grecque et j’ai offert des cadeaux à mes collègues de travail pour fêter le nouvel an iranien. On vit dans une grande diversité. J’ai aussi rencontré beaucoup de Belges au travail, car je travaille dans une entreprise belge. J’ai de la chance, parce que je sais que, si on évolue autour des institutions européennes, c’est parfois difficile.
Et vous êtes sur le point de demander la double nationalité belgo-britannique. Pourquoi ?
C’est principalement dû au Brexit. Les conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne n’étant pas encore claires, je voulais être sûre de pouvoir rester ici, voyager en Europe pour mon travail, et retourner au Royaume-Uni pour voir mes parents. Je ne me suis pas encore lancée dans la démarche administrative, mais je suis sûre que ça va être une expérience intéressante.
Pensez-vous rester à Bruxelles toute votre vie, ou rentrer en Angleterre à un moment donné ?
Je souhaite rester ici à long terme. J’aime beaucoup Bruxelles, je me sens chez moi, j’ai un très bon groupe d’amis et j’aime de plus en plus la Belgique à mesure que le temps passe. Je pense qu’on a une meilleure qualité de vie qu’en Angleterre.
Thomas Beardslee (41 ans), vient de Colombus, Ohio, États-Unis
Professeur de guitare et d’ukulélé, Thomas Beardslee vit à Bruxelles depuis 6 ans.
Pourquoi être venu à Bruxelles ?
Pour suivre ma copine, qui est maintenant devenue ma femme. J’ai fait un stage ici, puis j’ai décidé de rester. Je trouve que Bruxelles et la Belgique en général sont des endroits très faciles à vivre, et qu’il est particulièrement facile de venir s’installer ici en venant d’un autre pays. Ma femme est allemande, et l’immigration est un peu moins amicale là-bas. J’ai des amis américains qui sont partis s’y installer et ils ont eu beaucoup de problèmes. Quant aux États-Unis, n’en parlons pas. C’est horrible pour les nouveaux arrivants.
Quelle était votre image de Bruxelles avant votre arrivée ? Et comment voyez-vous la ville maintenant ?
Je ne savais presque rien de Bruxelles. Juste que c’était une ville européenne où on parlait beaucoup le français. Maintenant, ça fait 6 ans que je suis ici, et je trouve qu’en général c’est une ville bien plus sûre et amicale que Colombus, d’où je viens, dans l’Ohio. Les armes à feu n’ont pas leur place ici, c’est une ville assez diversifiée et le niveau de violence est bien plus bas que chez moi. Cependant, tous les dysfonctionnements dont parlent les gens me font un peu perdre patience. Je pense notamment au fait que les communautés présentes à Bruxelles ne se parlent pas toujours. Il y a aussi 6 zones de police qui ne travaillent pas toujours ensemble, même chose pour les 19 communes qui ont parfois du mal à communiquer entre elles… Mais à part ça, je trouve que Bruxelles est une ville superbe.
Comment s’est passée votre intégration ici ? Vous sentez-vous bien installé ?
Je me suis fait beaucoup d’amis rapidement, car ma femme était déjà installée ici. Mais comme je suis musicien, je me suis fait beaucoup d’autres amis très vite ! J’ai entendu d’autres personnes me dire qu’il était parfois difficile de se faire de amis belges, en particulier si vous travaillez dans la « bulle européenne », mais, personnellement, je n’ai eu aucun problème de ce côté-là. Par contre, pour jouer de la musique, ce n’est pas toujours évident. Il faut constamment se battre avec les autorités qui veulent faire respecter des régulations sonores. Le bon côté des choses, c’est que la sécurité sociale belge et le statut d’artiste, ici en Belgique, nous permettent un bien meilleur train de vie qu’aux États-Unis, où les musiciens ont souvent du mal à payer leur assurance maladie ou leur retraite.
Pensez-vous rester longtemps à Bruxelles ?
Oui, bien sûr, nous ne sommes pas près de partir ! On a acheté une maison, ma femme attend des jumeaux et doit accoucher dans deux semaines. Nous avons d’ailleurs choisi de les mettre à l’école néerlandophone. J’enseigne la musique à des élèves néerlandophones et je sens que la manière dont ils apprennent les choses à l’école ressemble plus à l’éducation que j’ai reçue. Il semble y avoir moins de mémorisation et plus d’enseignement pratique et de réflexion critique.