Entrée en vigueur le 30 juin 2017, la nouvelle loi sur les marchés publics a apporté de grands changements à une matière déjà complexe. Un peu plus de deux ans après son entrée plus tard, où en sommes-nous ? Le point avec Christophe Dubois, avocat associé chez Equal Partners.
« L’une des grandes difficultés engendrées par cette nouvelle loi est que les pouvoirs adjudicateurs n’ont pas eu un temps suffisant pour se préparer à son entrée en vigueur, notamment en termes d’exécution du marché », commence Christophe Dubois. En effet, les règles en matière d’exécution du marché n’ont été disponibles que début juin 2017, laissant moins d’un mois aux pouvoirs adjudicateurs pour les assimiler et changer leur façon de procéder.
« Ils ont donc été désarçonnés, en particulier par les mesures contre le dumping social en matière de sous-traitance et surtout par les causes de réexamen et par les modifications autorisées. Cela a été très difficile pour eux de s’approprier cette matière. Et deux ans et demi après, c’est toujours le cas. » Aujourd’hui, par exemple, beaucoup de pouvoirs adjudicateurs se contentent de reproduire les clauses de réexamen qui sont prévues dans la réglementation, sans en prévoir certaines qui leur seraient propres. « Il aurait été opportun de produire l’arrêté royal beaucoup plus tôt afin que les pouvoirs adjudicateurs puissent se familiariser avec la matière. »
Plus de risques et plus de travail
Christophe Dubois cite une deuxième difficulté, celle de devoir inclure des clauses sociales, environnementales et éthiques dans les cahiers des charges. « Les pouvoirs adjudicateurs ne savent pas comment faire et se servent alors en toute bonne foi de modèles qu’ils trouvent sur internet ou qu’on leur a fournis, mais qui contiennent des erreurs. » Enfin, au niveau des clauses d’exclusion, notre expert estime que l’on a doublé le travail administratif des pouvoirs adjudicateurs pour les marchés supérieurs au seuil européen. A contrario, rien n’a été prévu pour les tout petits marchés.
« En grossissant le trait, même pour acheter un bouquet de fleurs à 30 euros, le pouvoir adjudicateur est censé consulter au moins 3 opérateurs économiques et conserver les preuves », explique Christophe Dubois qui estime que l’on a poussé le bouchon un peu loin. « Dans ce cadre, la mutualisation de la commande publique est une piste de solution intéressante. » Par ailleurs, à partir de janvier 2020, la dématérialisation totale des marchés publics va obliger les opérateurs économiques (dont les PME) à déposer leur offre par voie électronique. « Cela implique que ces personnes soient outillées et compétentes, et augmente le risque que des offres soient écartées de la sélection à cause d’une éventuelle erreur informatique. »
Pour Christophe Dubois, cette nouvelle loi inclut une série de mesures pour faciliter l’accès de marchés aux PME, mais qui font courir plus de risques aux pouvoirs adjudicateurs. Citons, par exemple, le fait que le pouvoir adjudicateur doive réfléchir à l’allotissement du marché. « S’il ne le fait pas et que quelqu’un s’en plaint, il court un risque. » Autre exemple, l’examen de la régularité des offres, où le pouvoir adjudicateur doit vérifier la conformité des prix. « Fondamentalement, ce n’est pas son rôle et cela lui rend la vie très difficile, voire impossible, tout en augmentant le risque de recours. »
Une matière de plus en plus complexe
Du côté des soumissionnaires, il y a également des mécontentements. « Eux aussi ont dû s’adapter à la nouvelle loi, mais contrairement aux pouvoirs adjudicateurs, ils ont rarement pu suivre des formations en la matière. Même si des offres existent, il faut avoir le temps et les moyens. » Les petits marchés sont une mine d’or pour les PME, mais la procédure s’est tellement complexifiée qu’il y a une sorte de découragement. Notre expert invite donc les petites entreprises à travailler dans une optique aussi locale que possible et à se faire connaître auprès de leurs pouvoirs adjudicateurs locaux, qui ont beaucoup de marchés à attribuer avec des mesures de passation plus souples.
Et Christophe Dubois de conclure : « Assez paradoxalement, les avancées de la nouvelle loi ne profitent pas directement aux marchés publics. Certaines mesures sont bien sûr positives, mais elles n’impactent pas les procédures de passation en tant que telles. Aujourd’hui, tant les pouvoirs adjudicateurs que les soumissionnaires manquent clairement de compétences pour pouvoir répondre à ces nouvelles exigences. La matière s’est tellement complexifiée au fil des ans qu’il n’est pas évident, pour les acteurs de la commande publique, de maîtriser la législation et de suivre la jurisprudence y relative. »
Christophe Dubois
En route vers la facturation électronique
Suite à la transposition d’une directive européenne, depuis avril 2019, toutes nos administrations doivent accepter l’e-facturation dans le cadre de leurs marchés publics. Les explications de Brahim Ammar Khodja, chargé de projet chez Easybrussels, l’Agence bruxelloise pour la simplification administrative.
Qu’est-ce qu’une facture électronique ? Il s’agit de toute facture émise, transmise et reçue sous une forme électronique structurée (format XML) qui permet son traitement automatique et électronique. Concrètement, ce type de facture passe directement du logiciel comptable du fournisseur vers celui de son client, sans intervention humaine. Les factures scannées ou sous format PDF envoyées par e-mail ne sont donc pas considérées comme des factures électroniques selon cette définition.
Quels sont les avantages de l’e-facturation pour les entreprises ? Premièrement, c’est une simplification administrative : ce mode de facturation élimine des tâches manuelles en plus de l’encodage de création de la facture. Cela permet donc de réaliser des économies, tant à l’envoi qu’à la réception. L’Agence fédérale pour la simplification administrative a calculé qu’un passage à 100 % de factures électroniques représenterait une économie annuelle de plus de 3 milliards d’euros en Belgique. L’automatisation permet aussi une réduction du délai de paiement, particulièrement appréciable pour les indépendants et les petites entreprises qui ne peuvent pas se permettre d’attendre trop longtemps avant de se faire payer. Enfin, l’e-facturation réduit l’impact négatif sur l’environnement par rapport à la facture sous format papier ou envoyée par e-mail.
Est-ce que les entreprises sont obligées d’envoyer des factures électroniques aux administrations ? Il n’existe pas encore d’obligation générale en Belgique, mais certaines administrations l’imposent déjà à leurs fournisseurs, notamment en Flandre. En Région bruxelloise, il y a aussi une volonté d’aller de l’avant dès 2020, tout en mettant en place un accompagnement pour les indépendants et les petites entreprises.
Comment les indépendants et les PME qui ne disposent d’aucun outil informatique peuvent-ils envoyer des factures électroniques ? Il existe aujourd’hui des dizaines de solutions pour la gestion comptable qui incluent la possibilité d’envoi de factures électroniques conformes à la réglementation. Il est recommandé aux entreprises non équipées de se renseigner auprès de leur fournisseur actuel ou sur internet.
Quelles recommandations adressez-vous aux PME bruxelloises pour la facturation électronique ? Le passage à la facturation électronique est une véritable opportunité de modernisation et d’économie. Je les invite donc à se renseigner dès aujourd’hui et choisir la solution la plus adaptée à leur situation.
Brahim Ammar Khodja (Easybrussels)