D’ici quelques semaines, le 14 octobre 2018 précisément, les citoyens se rendront aux urnes pour les élections communales (et provinciales), avec des verdicts avant tout locaux. Mais qui serviront d’échauffement et de test grandeur nature avant les élections régionales, fédérales et européennes du 26 mai 2019, dont les enjeux seront tout autres. La campagne électorale s’annonce longue et chacun, lobbies compris, se positionne pour mettre ses priorités en avant.
À cet égard, le bureau Whyte Corporate Affairs a mené une enquête auprès des responsables de 25 organisations patronales et sectorielles belges (nationales ou au rayonnement plus régional, dont Beci). Les entretiens, menés entre février et mai 2018, ont porté sur leur travail lobbying en vue des prochaines élections, leurs attentes mais aussi leur évaluation de la gouvernance actuelle.
Les résultats ont été présentés cet été, de manière globale et anonyme, pour des raisons de confidentialité et en fonction de la sensibilité politique de certains sujets.
Lobbying : le memorandum reste roi
Selon Whyte Corporate Affairs, « la plupart des organisations ont commencé leurs préparatifs de travail de lobbying en début d’année et veulent finaliser leurs ‘position papers’ et mémorandums pour la fin de cet été », soit peu avant les élections locales, qui influencent donc ce calendrier précoce. Sans négliger le fait que « les partis politiques ont fait accélérer le processus de certaines fédérations car ils étaient demandeurs d’informations. »
À huit mois des élections fédérales, régionales et européennes, les organisations patronales et sectorielles doivent donc avoir défini la substantifique moelle de leur communication et commencé sa diffusion auprès des partis – et ce jusqu’aux élections, voire même pendant les négociations menant à la création des coalitions. « L’accord de gouvernement est pour nous la référence absolue. Si vous ne parvenez pas à y incorporer vos points de vue, c’est peine perdue pour le reste de la législature », résume un haut responsable d’organisation.
Un lobbying qui évolue : les points de vue et informations communiqués dans ces memorandums sont de plus en plus morcelés : « infographies, dépliants, fiches thématiques : ce sont les tendances », détaille-t-on chez Whyte, qui constate également une stratégie RP récurrente : « Ces memorandums sont articulés autour des thèmes et débats du moment afin de donner des points de vue pertinents. »
Par contre, s’ils sont souvent mentionnés, les médias sociaux semblent encore peu ou pas exploités à ce stade de la campagne électorale. Autre tendance : l’existence d’initiatives de membres individuels renforçant le lobbying de ces organisations, mais en général sans la bénédiction formelle de ces dernières, et pouvant susciter une certaine suspicion auprès des décideurs politiques.
Évaluation : distinction pour la « Suédoise »
Venons-en au positionnement des organisations d’employeurs vis-à-vis des formations politiques. Le travail d’influence jugé le plus important est effectué auprès de ceux représentés au gouvernement fédéral : la N-VA, juste devant le CD&V, puis l’Open VLD et enfin le MR. Très loin devant tous les autres. Même si, côté flamand « La N-VA et Groen déterminent le déroulement des débats », rapportait un responsable d’une des organisations interrogées.
Au niveau de la facilité des contacts et d’accès, côté flamand, la N-VA devance d’une bonne tête le CD&V et l’Open VLD. Côté francophone, c’est MR qui mène le classement de la popularité, loin devant le CDH et le PS. Ecolo et Groen ferment la marche des deux côtés de la frontière linguistique. Un autre responsable estimait, pour sa part : « Un bon contact dépend surtout de la thématique abordée. Certains partis sont fondamentalement plus intéressés par un sujet spécifique que d’autres ».
L’exécutif bruxellois moins apprécié
Et quand il s’agit de donner des points aux différents gouvernements, on note une distinction au gouvernement fédéral de Charles Michel (7/10), un bon satisfecit pour le gouvernement flamand de Geert Bourgeois (6,7/10) et le gouvernement wallon de Willy Borsus (6,5/10) et… une note sous la moyenne pour l’exécutif bruxellois de Rudi Vervoort (4,9/10), qui « aurait bien besoin d’une thérapie de choc ».
Une évaluation confirmée dans l’expression des souhait de ces organisations quant à une éventuelle prolongation des coalitions actuelles après mai 2019 : 21 « oui » sur 25 pour la Suédoise au fédéral, 19 pour Geert Bourgeois, 17 pour Willy Borsus et…. 1, seulement, pour Rudi Vervoort.
Interrogés sur les principales décisions les plus appréciées par eux, les « 25 » pointent sans surprise les mesures fiscales, mais aussi, dans une nettement moindre mesure, la nouvelle version de l’accord de « protection du consommateur dans le marché libéralisé de l’électricité et du gaz », la flexibilité au travail et le saut d’index, notamment.
A contrario, les mesures et politiques les moins appréciées portent sur la loi Peeters et la flexibilité du travail, la politique énergétique, l’inefficacité administrative, la mobilité, les réductions budgétaires, l’environnement.
Mai 2019 : « oui » aux mesures fiscales et salariales, « non » au communautaire
Interrogés sur leurs attentes, les organisations patronales et sectorielles veulent que les priorités aillent, sans surprise, aux charges salariales et à la fiscalité, puis à la politique économique générale, mais aussi au marché de l’emploi, au climat et à l’énergie, à la mobilité et à la simplification administrative.
Concernant l’asymétrie des coalitions au fédéral et dans les gouvernements régionaux, les organisations d’employeurs sont partagées : neuf l’approuvent, autant trouvent la situation problématique. Les autres sont sans avis. « L’asymétrie n’est pas idéale, mais elle n’est pas insurmontable. Les coalitions symétriques n’empêchent de toute façon pas que des jeux politiques aient lieu », résume un patron d’organisation.
Quatorze d’entre eux, par contre, estiment que le changement de coalition l’an dernier en Wallonie (la nouvelle majorité MR-CDH) « est une bonne chose », tout en admettant que les relations n’étaient pas forcément moins bonnes avec l’ancienne coalition PS-CDH.
Fait non moins important : une large majorité de ces décideurs économiques (18 sur 25) jugent important de maintenir le statu quo communautaire actuel, un seul s’y opposant. L’argument principal étant que « la dernière réforme de l’État n’a même pas encore été mise en œuvre », mais aussi que « personne ne profite des luttes politiques acharnées ».
Invités à se « mouiller » en faveur du parti qu’ils souhaitent voir actif dans les prochains gouvernements, les responsables des organisations sectorielles voteraient (selon leur rayonnement national ou régional), côté flamand, en faveur de la N-VA (7 votes) devant le CD&V (5) et l’Open VLD (5). Côté francophone, c’est le MR qui récolte l’intégralité des 13 votes !
Un lobbying bien perçu par les responsables politiques
Que pensent les décideurs politiques de ces activités de lobbying ? Septante-six d’entre eux (parlementaires, membres de cabinet, collaborateurs et conseillers aux divers parlements) ont été interrogées anonymement par Whyte Corporate Affairs, au premier semestre 2017. Ils évaluent positivement le travail réalisé par les fédérations des secteurs (82 %) et les organisations d’employeurs (78 %), loin devant les autres lobbyistes (consultants externes, académiciens et think tanks, organisations de la classe moyenne, ONG ou initiatives individuelles, qui naviguent entre 54 et 64 %).
Les décideurs politiques estiment également que le lobbying devient davantage professionnel (81 %) et nécessaire (68 %) « pour le travail politique, en raison de la complexité croissante, des changements rapides », selon l’agence Whyte. Enfin, 51 % des sondés estiment que le travail de lobbying est plus transparent que dans le passé.
Là où les hommes politiques et les organisations patronales et sectorielles divergent, par contre, c’est quant aux les destinataires de ce travail de lobbying. En effet, 17 des 25 organisations interrogées par Whyte préfèrent s’adressent directement aux présidents de partis, et 16 aux centres d’études. Moins de la moitié vise les cabinets, un tiers s’adresse aux parlementaires et seulement 2 aux ministres compétents. Tandis que les décideurs politiques, pour 82 % d’entre eux, affirment que le meilleur canal de diffusion pour les professionnels du lobbying, ce sont précisément les cabinets ; les autres mentionnant les parlementaires.