En quelques années, le marketing d’influence digitale a gagné en sophistication. La diversité des contenus et des influenceurs le rend toutefois accessible à beaucoup. On en parle avec deux agences bruxelloises.
On est le premier octobre 2009 à 14h30 précise. Musique syncopée. Un flux de sculpturales jeunes femmes déboule sur l’écran. Louis Vuitton diffuse pour la première fois son défilé en live sur facebook. Les réactions sur le réseau pleuvent.
S’ouvre alors pour tous les acteurs de la mode une nouvelle ère de communication associant intimement branding, contenu et réseaux sociaux. Pour y ajouter de l’authenticité humaine, quoi de mieux que d’associer des blogueurs et blogueuses web passionnés, alors plus ou moins anonymes ?
L’explosion de YouTube et des réseaux sociaux fera le reste. Devenus influenceurs, ces leaders d’opinion 3.0 se sont depuis multipliés bien au-delà de l’univers de la haute couture. Certains constituent aujourd’hui un relais essentiel entre des marques et les consommateurs. « Le principe de l’influence est qu’un message porté par quelqu’un d’extérieur à la société génère plus de confiance que la société elle-même », explique Boris Kaisin, co-fondateur de l’agence bruxelloise BeInfluence. « Il est surtout efficace quand il s’agit bâtir la crédibilité d’un produit, d’une marque ou d’un projet, ou bien d’asseoir une authenticité. C’est le premier pas pour initier un acte d’achat », poursuit-il.
Fondatrice de l’agence Efluenz, qu’elle a lancé en 2016, Yasmin Vantuykom, insiste aussi sur l’important élément d’identification. « Il est particulièrement présent au sein de certaines communautés, comme les jeunes mamans qui partagent les mêmes galères. À cet égard, on peut assimiler le marketing d’influence à du bouche à oreilles très puissant », soutient-elle.
En l’absence de réglementation claire sur la publicité, les premières années qui ont vu grandir les influenceurs en importance furent quelque peu chaotiques. Tels des supports publicitaires déguisés empilant les contrats sans logique ou investissement personnel, certains ont perdu leur âme et quitté la scène. Grâce à l’essor digital, le secteur dans son ensemble continue, lui, à se professionnaliser et devient de plus en plus sophistiqué. « C’est une bonne chose », se réjouit Yasmin Vantuycom. « De leur côté, les influenceurs comprennent aussi mieux l’importance de leur propre crédibilité pour durer. Ils sont de plus en plus sélectifs dans le choix des marques auxquelles ils acceptent d’associer leur image », témoigne la CEO.
Sophistication
« Lorsque nous avons lancé BeInfluence en 2017, le business s’appuyait sur quelques grands influenceurs, mobilisés sur de grosses campagnes », se rappelle Boris Kaisin. On s’est dit : pourquoi ne pas se focaliser sur des plus petits influenceurs, mais en plus grand nombre ? ». De fait, l’expérience montre que s’adresser à une plus petite communauté génère un plus haut taux d’engagement (voir plus bas) de sa part. Il est donc plus intéressant de s’adresser à 100 influenceurs avec mille abonnés qu’un seul influenceur avec 100.000 abonnés. Cette distinction grands / petits influenceurs a progressivement amené à une catégorisation de ceux-ci en fonction de leur audience (voir encadré) et zone de chalandise.
Jadis cantonnés aux secteurs de la mode, des voyages ou des produits de grande consommation, on peut aussi trouver aujourd’hui des influenceurs aux communautés d’intérêts de plus en plus variées.
Yasmin Vantuykom est convaincue qu’à cette diversification des communautés correspondra à l’avenir un plus large panel de secteurs dont ses clients sont issus, y compris dans le business to business. Elle mentionne notamment des campagnes d’employer branding ou liées à l’événementiel sur LinkedIn. Elle note aussi que beaucoup d’acteurs institutionnels, rétifs jusque là, ont largement utilisé les influenceurs pour communiquer en période COVID.
Prendre sa place dans les campagnes
Qu’il s’agisse d’augmenter la visibilité, de booster le dialogue et le taux de fidélité des clients, ou de se constituer une base de données prospects pour des newsletters, les projets d’influence peuvent aujourd’hui contribuer à tout objectif traditionnellement assigné à une campagne marketing.
Yasmin Vantuykom explique que son travail pour les grands clients s’intègre le plus souvent dans des campagnes nationales incluant médias traditionnels et digitaux. « Mais le marketing d’influence est aussi très adapté à des contenus plus locaux, comme l’ouverture d’un nouveau point de vente dans une région, par exemple ».
« Un influenceur aura plus d’impact s’il est combiné à d’autres canaux », confirme Boris Kaisin. Même s’il se réjouit de voir les budgets « influence » augmenter en nombre et en quantité dans les campagnes marketing des grandes sociétés, il regrette un certain manque d’intégration dans la réflexion stratégique en amont. « Du coup, on se retrouve parfois avec des messages dictés par d’autres canaux mais assez inadaptés au marketing d’influence », souligne-t-il.
Et pour ce qui est de la vente ? « On peut relier nos actions ou intégrer certains contenus dans de la publicité digitale plus traditionnelle qui pousseront à l’achat via des sites web, facebook ou Instagram », complète l’entrepreneur.
De là à voir les influenceurs d’aujourd’hui se transformer en télévendeurs de demain, poussant à l’achat immédiat, il y a un pas que les deux experts ne franchissent pas. « Le déplacement s’opère plutôt dans l’autre sens », pointe Yasmin Vantuycom. « Les influenceurs donnent plus ouvertement leur opinion sur des sujets de société comme le racisme, le féminisme, l’environnement ou la qualité de l’alimentation. Du coup, ils sont aussi de plus en plus associés à des campagnes promouvant des valeurs, plutôt que des produits – même si ces dernières persistent », ajoute-t-elle.
Complexité
Une campagne d’influence réussie passe par plusieurs étapes clés. D’abord, l’identification et la sélection des influenceurs pertinents, tant en termes de thématique que de public cible. Ce dernier peut-être caractérisé selon le sexe, l’âge, le centre d’intérêt et la localisation. « Il faut savoir que certains influenceurs belges ont 80 % de leur audience à l’étranger », révèle Boris Kaisin. « Pour des campagnes locales, leur intérêt est donc limité ».
Ensuite, un travail soutenu de conception de contenu, de choix des médias et de suivi de projet. La communication d’influence peut revêtir plusieurs formes, du simple « placement produit » dans une vidéo à la promotion, qui demande à l’influenceur d’incarner le produit et d’en dire du bien. Aujourd’hui, on se dirige de plus en plus vers la cocréation de contenus qui laisse plus ou moins carte blanche à l’influenceur afin qu’il imagine sa propre campagne. Les formats varient également « Stories, posts, vidéos, questionnaires… Il y a beaucoup d’options possibles », détaille Yasmin Vantuykom.
L’exploitation des contenus peut aussi se décliner sur une période plus ou moins longue, à des rythmes adaptés et sur différents canaux, selon les audiences. Là ou une cible 15-35 ans orientera en premier lieu vers TikTok, Instagram s’imposera de 22 à 40 ans, et facebook pour des audiences encore plus âgées. Ainsi, confirment les deux experts, les options de campagne se multiplient et l’analyse de leurs impacts peut être de plus en plus pointue.
Autre point clé, la gestion de la relation et la négociation des contrats avec les influenceurs, que Boris Kaisin préfère appeler « créateurs de contenus ». Le temps où ceux-ci se satisfaisaient de payements en nature est révolu. Aujourd’hui, à un exemplaire de votre produit, une nuit dans votre hôtel ou un repas dans votre établissement s’ajoutera presque systématiquement une rémunération financière exigée.
À côté de sa fonction de stratège en marketing, Boris Kaisin voit ainsi son rôle de représentation croître à l’avenir, à la façon d’un agent d’acteurs ou de sportifs. « On accompagne vraiment les créateurs dans le développement de leur business, de la réflexion stratégique pour développer leurs réseaux aux problèmes administratifs », conclut-il.
Followers
A l’échelle du marché belge, un nano-influenceur regroupera grosso-modo entre 500 et 3.000 abonnés sur facebook, Instagram, Twitch ou TikTok.
Un micro-influenceur comptera entre 3.000 et 50.000 abonnés.
On parlera de macro-influenceur à partir de 50.000 abonnés et de méga influenceur à partir de plusieurs centaines de milliers d’abonnés.
Conseils
Vous souhaitez vous lancer dans une campagne d’influence ? Cela passe d’abord par les réponses à ces quatre questions.
- Mon public cible est-il présent sur les réseaux sociaux ? Lesquels ?
- Existe-t-il sur ces réseaux des influenceurs/créateurs de contenus à même de bien communiquer sur mon produit ou service ?
- Quel est mon objectif ? La mesure du succès de la campagne variera en fonction de celui-ci. Si vous vouliez créer un maximum de visibilité, c’est le nombre de personnes qui auront vu le contenu de votre influenceur qui compte (reach), ainsi que nombre de vues totales (impressions). Si vous souhaitez susciter de l’engagement ou de l’interaction, vous regarderez plutôt le nombre de likes, de commentaires ou éventuellement le nombre de clicks sur un lien associé. Le choix de vos influenceurs en dépendra.
- Ai-je un budget suffisant ? Une première campagne test auprès d’une agence se chiffre à +/- 5.000 euros. Mais les agences préconisent des programmes d’ambassadorships au plus long cours ou des contrats à l’année, afin de garantir un plus grand impact. Bien sûr, il vous est loisible de contacter directement des influenceurs. Mais soyez conscient qu’une campagne bien menée réclame une réelle expertise et du temps.
Incises
« Le marketing d’influence est efficace pour bâtir la crédibilité d’un produit, d’une marque ou d’un projet, ou bien d’asseoir une authenticité. C’est le premier pas pour initier un acte d’achat », Boris Kaisin, CEO BeInfluence
« Les influenceurs donnent plus ouvertement leur opinion sur des sujets de société. Ils sont aussi de plus en plus associés à des campagnes promouvant des valeurs, plutôt que des produits », Yasmin Vantuycom, CEO Efluenz.
À propos des intervenants
Yasmin Vantuykom, CEO & Founder de Efluenz.eu & Boris Kaisin, Co-Founder CEO de BeInfluence Europe