La rapidité est devenu le maître-mot de nos sociétés hyperconnectées, et le stress généré propage un fléau susceptible de s’abattre sur les travailleurs : le burn-out. Les contours de la responsabilité des entreprises sont ici tracés sous l’angle médical, patronal et syndical.
Paul Palsterman, secrétaire régional CSC, commence par revenir sur les origines du trouble : « L’acédie était une forme de dépression qui atteignait des moines particulièrement zélés. À un moment, quelque chose cassait, ils ne voyaient plus le sens de ce qu’ils faisaient et cela se traduisait par de la paresse, du relâchement. Ce phénomène a ensuite atteint des professions plutôt altruistes, où il y avait une vocation quelque part : des médecins, des travailleurs sociaux, des professeurs et aussi des employés extrêmement motivés qui se donnent sans compter dans leur travail. »
Pour Maryam Bastan, psychiatre responsable de la clinique du stress au CHU Brugmann, il ne s’agit plus uniquement d’une question de profil : « En mettant l’accent sur les personnalités à risques, l’employeur peut considérer que le problème vient de la personne et ne pas remettre pas en question le fonctionnement de l’entreprise. » Elle explique que le burn-out est initialement défini comme un trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse ou dépressive et que, sous cette approche, le problème est reporté sur la personne, motif qui a déjà été invoqué par des assurances complémentaires pour ne pas verser d’indemnités. « Maintenant, on se rend compte que toutes les professions sont touchées », poursuit-elle. « Les causes sont souvent les mêmes : une charge de travail importante, une pression dans les délais, une exigence qualitative, une hiérarchie présente de manière parfois rigide, une demande de polyvalence et de disponibilité… Des traits de personnalité tels que le perfectionnisme jouent un rôle dans la survenue du burn-out mais ce type de contexte de travail génère du stress chez tout le monde.».
Jean-Claude Daoust, président de la commission sociale de Beci, insiste sur l’importance de distinguer le burn-out dû aux circonstances du travail et la dépression causée par un incident de vie d’ordre privé comme un divorce, une maladie ou un décès : « Pour la personne qui fait un burn-out, on conseille d’arrêter le travail pendant un certain temps, de mettre un écran entre sa vie privée et professionnelle. En cas de dépression liée à un accident de la vie, c’est exactement l’inverse. Il est plutôt préconisé de continuer à travailler, après peut-être une courte absence. On s’en sort mieux en continuant à avoir un rythme de vie active qu’en restant chez soi à se morfondre. »
Maryam Bastan concède que poser un diagnostic implique de considérer la situation de la personne dans son ensemble, mais fait montre de nuances quant à une catégorisation stricte : « Par expérience je peux vous dire que si, dans les conclusions, un problème d’ordre privé est mentionné, il y a directement une déresponsabilisation de la part de l’employeur. Les journées s’allongent, les contrats de travail sont plus précaires et les personnes sont un peu prises en otages dans tout cela. Le travail devrait représenter un tiers de notre vie, mais dans la pratique aujourd’hui c’est beaucoup plus. L’équilibre avec la vie sociale, la vie familiale et les loisirs est perturbé. Pour tout gérer, des personnes fonctionnent par exemple avec des douleurs diverses. Dans une tentative de tout gérer, les personnes, dans un premier temps, surinvestissent leur travail et ensuite les symptômes de burn-out apparaissent.»
Une réflexion législative en cours
De par son expérience avec le harcèlement moral, Paul Palsterman rejoint Jean-Claude Daoust dans l’importance de ne pas non plus tout confondre, mais appelle, comme le Dr Bastan, à traiter la culture d’entreprise dans son ensemble face aux risques psycho-sociaux : « La réglementation sur la protection du travail était au départ centrée sur les ouvriers en contact avec des produits et des machines dangereux. La législation sur les risques psychosociaux a été introduite avec le harcèlement moral. Après un grand nombre d’articles terrifiants sur le sujet, on a introduit tout un arsenal législatif contre le harcèlement moral, mais dans la plupart des dossiers auxquels on était confrontés, on était amenés à dire : ‘oui, vous souffrez au travail, mais ce n’est pas du harcèlement moral’. Aujourd’hui, les représentants officiels du patronat se focalisent sur le burn-out parce que c’est souvent le fait des bons employés. Une réflexion est en cours pour la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle. Il faudrait éviter de reproduire la même erreur qu’avec le harcèlement moral. Il faut pouvoir voir l’ensemble des risques psychosociaux, dont le burn-out et le harcèlement moral font partie. » Il remarque que la gestion des plaintes vise surtout à inciter l’employeur à aborder la question sur le plan collectif. Les sanctions n’arrivent qu’en bout de course et sont rares : prouver sa maladie est une chose, mais il est difficile d’attester de son lien avec le travail et de mettre en évidence une faute de l’employeur.
Jean-Claude Daoust n’est pas favorable à une législation trop contraignante sur le burn-out, étant donné que le problème est spécifique à chaque individu : « On vit dans une société où tout doit aller vite tout le temps. Cela provoque des difficultés, parfois plus pour l’un que pour l’autre. En 20 ou 30 ans, le service du personnel qui était presque un service comptable, qui gérait les paies, a acquis ses lettres de noblesse dans les matières ‘soft’ des ressources humaines et cela doit continuer à évoluer en ce sens. Les départements de ressources humaines sont demandeurs de pouvoir gérer cela sans trop de contraintes légales parce que, bien souvent, les problèmes tiennent quasiment de l’individuel, avec des cas où c’est lié à un chef de département excessif, d’autres où c’est d’abord le caractère perfectionniste d’un employé qui est en cause… »
Une entreprise à l’écoute face au stress
Paul Palsterman appelle à s’appuyer sur les services de protection au travail et, dans les entreprises d’une certaine taille, sur les comités de protection et de prévention pour analyser l’organisation du travail et éviter l’apparition du risque. Selon le Dr Bastan, donner des formations sur la prévention du burn-out pourra aider les employés à développer des stratégies d’adaptation face au stress, mais cela ne suffit pas : « L’entreprise doit également s’interroger sur sa manière de gérer les équipes et développer une proximité dans la gestion pour faire en sorte qu’elle soit plus participative. La réflexion doit se faire dans les deux sens. Il faut reconnaître qu’il n’y a pas une manière unique de bien gérer. En cas de séparation par exemple, l’organisation de la vie change et l’employeur peut en tenir compte ».
Face à la nouvelle difficulté des managers d’identifier des signes avant-coureurs, Jean-Claude Daoust propose des pistes à explorer en matière de prévention : « Les délégations syndicales peuvent informer les départements de ressources humaines des cas qu’elles peuvent entrevoir à travers leur présence dans l’entreprise. À ce moment-là, on peut avoir une saine collaboration. Je pense que les évaluations sont aussi des moments opportuns pour examiner si la personne se sent bien dans sa fonction, voire dans son évolution de fonction, si elle accepte de se prononcer parce que cela peut être gênant de parler de ses difficultés. L’évolution de fonction peut aussi être un moment difficile. On peut proposer des formations pour améliorer les compétences et rendre les personnes mieux armées face à leurs responsabilités. »
Après un burn-out, il constate davantage de succès quand l’employeur maintient le contact avec le malade pour lui faire sentir qu’il sera le bienvenu à son retour. Tous s’accordent à dire que la reprise doit être évaluée au cas par cas. Elle peut être graduelle, ce qui impacte l’organisation du travail du service concerné ; à un poste différent, si les attributions de l’employé étaient en cause ; ou au même poste, si une réaffectation devait être vécue par l’employé comme un déni de ses compétences.