L’arrêt de l’activité des centrales nucléaires belges en 2025 suscite encore de nombreuses questions. L’expertise belge en matière de physique et génie nucléaire, reconnue internationalement, serait-elle amenée à disparaître ? Pas tout à fait…
En 2025, les centrales de Doel et Tihange devraient cesser leur activité, pour autant que le gouvernement ne change pas ses plans ! La question de la sortie du nucléaire suscite des points d’interrogation autour des énergies alternatives, mais une autre grande question se pose : avec la fermeture des centrales, la Belgique ne perdrait-elle pas son expertise en génie et physique nucléaire ?
« La fermeture des centrales à l’horizon 2025 représente en effet un risque », estime Pierre-Étienne Labeau, professeur dans le domaine du nucléaire à l’École polytechnique de Bruxelles (ULB). « Pourtant, cette expertise restera nécessaire au-delà de la fermeture des centrales. Il faudra en effet assurer les tâches de démantèlement des centrales ainsi que celles de la gestion et du traitement des déchets. On peut imaginer qu’une bonne partie du personnel formé aura tendance à quitter le secteur, même avant 2025, notamment en se dirigeant vers le bassin d’emploi du port d’Anvers en ce qui concerne les centrales de Doel. On risque de devoir s’appuyer sur les personnes qui s’estiment trop âgées pour changer de carrière. Ceci ne tiendra que pour une période donnée, alors que les besoins resteront présents durant quelques dizaines d’années pour certaines questions. »
L’activité de démantèlement des centrales devrait en effet encore durer dix à quinze ans après la fermeture des centrales. Quant au traitement des déchets radioactifs, il durera encore au moins jusqu’en 2050, voire 2060. En parallèle, il faudra gérer tout le combustible usagé stocké dans les piscines des centrales nucléaires elles-mêmes. Cela nécessitera une certaine expertise !
Une connaissance tournée vers le médical et l’espace
Heureusement, l’expertise nucléaire n’est pas uniquement tournée vers l’énergie. Ainsi, le Centre d’étude de l’énergie nucléaire de Mol, à l’aide de son réacteur BR2, produit pas moins de 25 % de l’ensemble des radio-isotopes utilisés dans le monde pour les diagnostics médicaux. Cette technique d’imagerie médicale consiste à administrer un produit légèrement radioactif au patient, le plus souvent par intraveineuse, afin d’analyser les réactions dans le corps.
« Nous continuons d’ailleurs de développer d’autres applications médicales à l’aide du nucléaire », explique Vincent Massaut, expert en fusion nucléaire au SCK-CEN, centre de recherche sur l’énergie nucléaire. « Nous développons par exemple des thérapies avec des radio-isotopes, produits dans des réacteurs de recherche, qui permettent d’attaquer le cancer de manière locale. Il existe également des applications dans l’industrie, à savoir des radio-isotopes capables de faire des sortes de radiographies, ou encore le dopage du silicium par conditionnement, toujours effectué grâce à notre réacteur BR2. »
Le troisième domaine de développement du nucléaire, et non des moindres pour l’avenir, est… l’espace. « Par le biais du nucléaire, nous étudions par exemple les radiations potentielles qui agissent sur les matériaux, l’humain ou l’usage de médicaments quand on quitte l’atmosphère terrestre », poursuit Vincent Massaut. « Un autre domaine de développement est le nucléaire en tant que source d’énergie. Il existe également des études autour des séjours sur la planète Mars. Nous étudions par exemple le stress exercé sur l’organisme des astronautes (radiations, gravité, confinement…). »
La formation belge attire les étudiants étrangers
Mais qui dit génie nucléaire dit forcément expertise. Celle-ci sera-t-elle vouée à disparaître si les centrales belges cessent leurs activités ? « On pourrait comparer la situation belge à celle de la France », évoque Jean-Marc Sparenberg, professeur de physique quantique à l’École polytechnique de Bruxelles (ULB).
« Notre pays a beaucoup investi dans le nucléaire dans les années 60 et 70. La formation chez nous en physique et génie nucléaires a dès lors connu un rayonnement international. La section d’ingénieur physicien n’a toutefois plus actuellement le même succès auprès des étudiants belges. Le taux d’inscription est constant depuis au moins quinze ans et seuls quelques étudiants sortent avec ce profil. Toutefois, toutes les universités belges proposent un cursus cohérent en génie nucléaire et celui-ci présente un certain succès auprès de personnes envoyées par les entreprises et les élèves étrangers. »
Selon notre expert, la filière du génie nucléaire et de la physique nucléaire n’est pas à remettre en cause, tout simplement car il existe de multiples débouchés. « Les personnes qualifiées en génie et physique nucléaire trouveront d’une manière ou d’une autre un boulot », poursuit Jean-Marc Sparenberg. « Une reconversion d’experts dans le nucléaire ne devrait, d’une manière ou d’une autre, pas poser trop de problèmes car les employeurs recherchent des personnes avec une formation scientifique. »
Solution : garder une ou deux centrales active après 2025
Pour imaginer l’avenir de l’expertise nucléaire belge, on pourrait aller voir du côté des Pays-Bas. Les Néerlandais ne possèdent qu’une seule centrale nucléaire, située à Borssele, au sud du pays, mais ont développé des énergies alternatives. Le gouvernement néerlandais a délaissé durant un moment sa partie recherche et développement associées aux déchets hautement radioactifs. « En quelques années, les Néerlandais ont perdu tous leurs experts dans ce domaine », affirme Pierre-Étienne Labeau. « Ils demandent aujourd’hui l’aide de l’Ondraf (Organisme national belge des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies, ndlr) pour tenter de reconstruire cette expertise. La Belgique pourrait ainsi se trouver dans une situation comparable à celle des Pays-Bas si aucune initiative n’est prise. On pourrait comparer cette situation à celle des mines et à la perte de l’expertise belge en la matière. » Comme l’exprime Pierre-Étienne Labeau, une des solutions en Belgique pourrait être de garder une ou deux centrales nucléaires actives après 2025, décision qui pourrait être prise lors du prochain accord de gouvernement, après les élections législatives en 2019. « Le gouvernement doit prendre ses responsabilités, notamment pour une question d’emploi, mais également pour une question de maintien de l’expertise actuelle », évoque M. Labeau.
Iter, le projet international avec des experts belgesCe n’est pas parce que la Belgique délaisse l’énergie nucléaire sur son territoire qu’elle désinvestit à l’échelle internationale. Notre pays participe en effet au projet Iter, l’un des plus ambitieux projets au monde dans le domaine de l’énergie avec un site situé à Cadarache, au sud de la France. Iter rassemble 35 pays, des dizaines d’experts belges et des milliers d’ingénieurs et scientifiques de par le monde. But ? Créer une machine capable de démontrer que la fusion peut être utilisée comme source d’énergie à grande échelle pour produire de l’électricité. Le projet est plutôt ambitieux car la fusion nucléaire est la source d’énergie qui alimente le soleil et les étoiles. Cette source représente un véritable enjeu pour l’environnement : en effet, elle n’est pas émettrice de CO2 pour produire de l’électricité. La création du premier plasma, sorte de premier test grandeur nature du projet Iter, aura lieu… en 2025.
|
Myrrha, l’avenir du nucléaire en BelgiqueA l’instar d’Iter, la Belgique prépare elle aussi un projet d’envergure internationale, cette fois-ci sur son propre sol. Son nom ? Myrrha. On parle ici de fission nucléaire. Myrrha est le premier prototype de réacteur nucléaire piloté par un accélérateur de particules. Concrètement, ce réacteur, premier du genre dans le monde, permettrait entre autres d’assurer la demande mondiale en termes de radio-isotopes médicaux. Au point de vue écologique, le réacteur permettrait notamment de rendre la durée de vie des déchets beaucoup plus courte. Ce réacteur nucléaire d’un nouveau genre devrait être implanté sur le sol belge, plus précisément à Mol. « Devrait », car Myrrha est actuellement à l’étude. Le gouvernement belge investit dans cette technologie et le projet, piloté depuis le centre de recherches nucléaires de Mol, est mené en collaboration avec des experts internationaux. « La menace, c’est que la Belgique ne veuille plus remettre de l’argent dans cette recherche après la sortie du nucléaire en 2025 », note Pierre-Étienne Labeau.
|