Une ville, c’est un va-et-vient incessant de biens et de personnes. Pour les personnes, en tout cas dans les grandes villes comme Bruxelles, on a évidemment la chance de pouvoir compter sur les transports en commun et donc, de limiter les émissions de CO2. Pour les marchandises par contre, c’est tout autre chose…
Trouver une manière intelligente de transporter des biens dans les grandes villes tout en évitant au maximum voire totalement les nuisances qui y sont liées ? C’est une question vitale pour une zone comme celle de Bruxelles. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas un hasard si la capitale de l’Europe, qui figure parmi les plus embouteillées, est aussi celle qui abrite les meilleurs spécialistes de la mobilité. Parmi eux, Sara Verlinden et Cathy Macharis, toutes deux actives à la VUB et expertes en mobilité et logistique urbaines au sein du groupe de recherche Mobi (Mobility, Logistics and Automotive Technology). Ou le bureau de consultance Stratec dont l’expertise est même reconnue au niveau international en matière de mobilité et en économie des transports.
Parfois, ce sont les interdictions qui nous font brutalement remarquer que la mobilité des biens pose question dans une grande ville. C’était encore le cas en février dernier avec cette motion déposée par la majorité PS-Ecolo d’Ixelles, proposant de bannir les poids lourds des rues de la commune. L’échevin de la mobilité pointait – à juste titre d’ailleurs – l’efficacité toute relative d’un GPS dans un milieu urbain aussi dense pour des chauffeurs non-bruxellois…
Peu de kilomètres, mais beaucoup de pollution
De fait, on peut comprendre l’exaspération. D’après les études les plus récentes organisées par Mobi-VUB, la logistique est responsable d’au moins un quart des émissions de CO2 liées à la mobilité, alors qu’elle ne représente que 10 à 20 % du total des kilomètres parcours dans les villes. C’est dire combien cette activité est pénalisante pour une cité comme Bruxelles : camions surdimensionnés à l’arrêt, moteur tournant ; camionnettes parquées en double file générant leur lot d’embouteillages ; et, comme le soulignait cette élue ixelloise, GPS incapables de réagir assez finement pour guider efficacement les conducteurs (ndlr : Bruxelles-Capitale compte pas moins de 5.000 voies). En plus des émissions de CO2, on vous passe le problème des particules fines, des affections respiratoires en explosion, des nuisances sonores… Certains évoquent l’interdiction des fonctionnements à flux tendus et même, pour les plus radicaux, de la logistique en ville tout court. Mais en réalité, combien sont prêts à accepter les conséquences de ce qui paraît être un combat d’arrière-garde ?
Gratuité pour les livraisons… le lendemain
Si l’on en croit les résultats des deux baromètres Pulse of the Online Shopper réalisés en 2017, puis en 2018, la réponse est claire : lorsqu’un achat est effectué en ligne, non seulement le consommateur s’attend à être livré rapidement, mais ses attentes progressent chaque jour davantage avec, en 2018, le souhait de pouvoir bénéficier de la gratuité pour cette livraison (dans 62 % des cas) et même de pouvoir renvoyer la marchandise si elle ne lui convient pas (dans 62 % des cas également). Certes, le baromètre 2018 a permis de souligner que les acheteurs européens pouvaient se montrer globalement très flexibles quant au temps d’attente de leur commande dès lors que la livraison était gratuite, ce qui permet une plus grande optimisation des opérations logistiques et donc des camions mieux remplis, mais la concurrence entre e-commerçants alimentant la course au plus offrant, la gratuité est aujourd’hui de plus en plus fréquente pour des achats réceptionnés dès… le lendemain de la commande.
Miser sur le collectif et le collaboratif
Dans ces conditions, le chantier engagé avec le Green Deal pour la logistique urbaine, signé en avril dernier à Bruxelles dans les locaux de la FEB, prend tout son sens. L’initiative est centrée sur les villes de la Région flamande, mais les réalités explorées sont bien sûr transposables à Bruxelles. Pas moins de 35 parties ont décidé de signer ce document fondateur, qui jette les bases de la logistique urbaine, en présence des ministres flamand de l’environnement, de l’énergie, des travaux publics et de l’innovation. Cornaqués par The Shift, financièrement soutenus par la Fondation Roi Baudouin, orientés sur le plan technique par les conseils de Mobi-VUB, suivis par le Bond Beter Leefmilieu, par l’Association des villes et des communes flamandes, par l’Agentschap Innoveren en Ondernemen (VIL) et par le département Mobilité et Travaux publics et de l’Environnement du gouvernement flamand.
Pour relever ce défi d’une logistique qui puisse tendre vers le zéro émission, c’est à l’intelligence collective que The Shift et ses partenaires ont décidé d’avoir recours. Les acteurs qui ont décidé de s’associer à l’initiative du Green Deal ont pris le parti de faire baisser le nombre de kilomètres parcourus, mais aussi d’effectuer les trajets à des moments où cela pose moins de problèmes, avec des véhicules aussi écologiques que possible, voire avec des véhicules zéro émission.
Changer aussi de paradigme à Bruxelles
À travers le Green Deal Stedelijke Logistiek, septième Green Deal signé chez nos voisins flamands, les partenaires ont par exemple bon espoir de fairelivrer jusqu’à des chantiers de construction à l’aide de vélos cargos et de faire circuler les sociétés de courrier express avec des véhicules zéro émission. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur l’expertise accumulée dans ce domaine par Sara Verlinden et Cathy Macharis. Bon à savoir : une de leurs dernières études, publiée en février dernier et axée sur le cas de Bruxelles, a permis de constater que le marché de la distribution de colis y est encore et toujours dominé par les véhicules classiques et les modes de fonctionnement traditionnels, tout en soulignant que les réglementations et la gouvernance avaient de plus en plus tendance à mettre en avant des techniques et des modèles de transport alternatifs, comme les vélos cargos ou les plateformes de collaboration. La voie est toute tracée.
Les initiatives concrètes
Parmi les nombreuses entreprises associées à l’initiative Green Deal, on trouve Addax Motors, ASX-Ibeco, BeCommerce, Bpost, Bopro, Cargo Velo, CityDepot, Colruyt Group… Addax Motors s’engage par exemple à mettre à la disposition des utilisateurs urbains des camions électriques compacts. Des démonstrations seront par ailleurs organisées pour encourager les entreprises à s’engager dans cette voie. L’entreprise ASX-Ibeco a quant à elle décidé de remplacer deux camionnettes par trois vélos-cargo. Ceux-ci permettront d’assurer la livraison de petits paquets dans la province d’Anvers. Autre acteur de la livraison express, mais à une autre échelle, avec DHL Express BE. La société de courrier express testera à Gand et Anvers le remplacement des camionnettes de livraison habituellement utilisées par des vélos-cargo. Et cet essai semble bien parti pour se développer puisque d’ici 2020, DHL prévoit de l’étendre à des villes comme Louvain, Courtrai, Malines, Ostende et Hasselt, mais aussi Liège, Namur et… Bruxelles.