Les nouveaux modes de consommation dont la connectivité des consommateurs forcent les magasins à se transformer. La créativité permettra aux détaillants de répondre aux attentes d’un monde en évolution rapide.
La fin du commerce en ligne. Le titre de ce livre de Wijnand Jongen, expert néerlandais en retail et e-commerce, relève de la boutade, bien entendu. Surtout qu’en Belgique, le shopping en ligne est toujours en phase de décollage. Wijnand Jongen réfléchit à plus long terme, à l’avenir de la vente de détail dans un monde perpétuellement connecté. « Il n’y aura bientôt plus de distinction entre shopping en ligne et hors ligne, puisque les deux auront fusionné », estime-t-il.
Il pense qu’avec un consommateur connecté sans interruption, les magasins se transformeront en réseaux numériques. « Ils devront exploiter le comportement évolutif du consommateur. Je ne pense pas que la technologie soit le principal moteur de ce changement ; elle n’est qu’un instrument. La transformation est induite par le consommateur lui-même, qui voit apparaître de nouvelles possibilités attrayantes. Faire ses emplettes sur un banc public, une tablette à la main, et savoir que le tout sera livré à domicile : c’est aussi facile qu’agréable. D’ici 2020, la moitié de la population active se composera de ‘millennials’ qui auront grandi parmi les médias sociaux, les applis et l’interactivité. Cette génération veut de la flexibilité. Le détaillant qui désire rencontrer les attentes de ces jeunes devra s’ouvrir à de nouvelles idées créatives. »
Comment les nouveaux modes de consommation influent sur le commerce
Damien Jacob, également expert en e-commerce, précise que l’internet est devenu la première source d’information. « Peu importe que l’on achète en ligne ou hors ligne : on se renseigne d’abord sur le web. D’où l’importance pour le magasin physique indépendant et pour la grande enseigne d’annoncer leurs offres en ligne. Cela convainc de nouveaux clients et informe les clients existants, qui, autant que les autres, consultent l’Internet et se manifestent sur les médias sociaux. »
Damien Jacob estime que les médias sociaux ont rendu les consommateurs plus interactifs. « Ils y donnent leur avis et communiquent en temps réel avec les marques. Celles-ci utilisent ce dialogue pour saisir les attentes des clients et devancer la concurrence avec des produits sur mesure. Ce n’est pas sans risques : si l’offre ne plaît pas aux clients, ceux-ci pourraient bien partager leur déception sur les mêmes médias sociaux. »
Nos deux experts constatent l’attitude « multicanaux » du consommateur dans les nouveaux modes de consommation : il passe gaillardement de l’un à l’autre. Dans la quête de l’information produit, la commande et la livraison, il choisit le canal qui lui convient au moment même. Il veut acheter n’importe quand, n’importe où et via n’importe quel canal. Ces changements de canaux imprévisibles forcent le commerçant à réfléchir out of the box et à suivre les nouvelles tendances. « Prenons l’économie circulaire », dit Wijnand Jongen. « Elle permet aux détaillants de développer de nouveaux services. Dans le prêt-à-porter, ce pourrait être un atelier de réparation dans le magasin ou un assortiment de vêtements de seconde main… »
Même s’il conseille aux magasins de réfléchir à l’avenir, M. Jongen puise aussi l’inspiration du côté des années 50 et 60. « À l’époque, les gens avaient davantage de considération pour les autres. L’épicier connaissait personnellement tous ses clients. Si vous achetiez un morceau de fromage chaque semaine, il suffisait d’une absence ponctuelle pour que l’épicier vous téléphone et propose une livraison à domicile. Ce réflexe resurgit aujourd’hui, avec des supermarchés qui livrent des emplettes au domicile des personnes âgées. La technologie permet aujourd’hui aux détaillants de connaître leurs clients et leurs attentes. Une banque de données vous aide même à surprendre agréablement les clients. J’apprécie par exemple que la boutique où j’ai l’habitude d’acheter des polos me prévienne d’un nouvel arrivage. »
Des infos en continu
Wijnand Jongen et Damien Jacob citent tous deux Décathlon comme un exemple de good practice. « Cette enseigne a trouvé la symbiose entre la boutique en ligne et les magasins physiques et, ce qui ne gâche rien, elle ne recule pas devant les tendances actuelles. Elle a éliminé le middle management et offre aux exploitants locaux de développer de nouvelles initiatives dans leur magasin. »
À Bruxelles, c’est Mofelito Paperito qui propose une belle combinaison. Sa fondatrice Sofie Rombouts a lancé une boutique en ligne il y a trois ans. Le magasin physique s’est ouvert il y a quelques mois à peine, dans la rue des Éperonniers. « Au début, j’avais un emploi à plein temps et je ne souhaitais pas prendre de risques financiers inconsidérés. D’où ma décision de commencer avec une boutique en ligne », explique Mme Rombouts. « J’organisais de temps à autre une vente dans un tea-room ou dans un espace coworking. J’ai constaté que les gens aiment voir les produits en vrai et les toucher. J’ai donc finalement décidé de réaliser mon rêve et d’ouvrir un magasin physique. Il y a beaucoup de magasins vides dans ma rue, outre des magasins de nuit et des boutiques de souvenirs. Les habitants du quartier sont heureux de constater que pour une fois, c’est un magasin de qualité qui s’installe. Mes articles de papeterie sont des produits de niche. Ils attirent un public peu enclin à acheter en ligne. La combinaison entre une boutique en ligne et un magasin physique est donc idéale. Je reçois régulièrement des commandes de l’étranger de la part de personnes qui cherchaient un produit très spécifique en ligne. »
Sofie Rombouts constate que les mailings et les messages sur les réseaux sociaux ont un impact sur la population connectée. « Je m’étonne de voir combien de personnes trouvent le magasin via Instagram. Les clients apprécient aussi que j’y présente un nouveau produit spécial. Il y a pourtant un vaste groupe de clients qui ne fréquentent pas les réseaux sociaux, notamment des dames âgées qui viennent acheter des cartes chez moi. Je veux continuer à investir dans ces clients physiques. Les personnes plus jeunes ‘likent’ et partagent beaucoup sur les réseaux sociaux, mais elles achètent peu. Les réseaux sociaux sont chronophages, mais je ne peux pas me permettre de ne rien poster sur Instagram pendant deux semaines. De nombreuses personnes me contactent également via ces canaux. Les messages me parviennent en continu et y répondre est presque une occupation à temps plein. »
Se lancer avec une plate-forme
Il existe de petites boutiques spécialisées et, à l’autre extrême, d’énormes plateformes numériques telles qu’Amazon et Zalando, qui attirent le consommateur soucieux de son confort. Quasi tout trouver sur un seul et même site : est-il possible de concevoir plus grande facilité ? « C’est pourquoi l’économie des plateformes se renforce », explique Wijnand Jongen.
« Ces organisations investissent de gros capitaux dans l’amélioration constante du service. Le détaillant local est donc face à un dilemme : doit-il se raccrocher à un de ces géants, ou s’abstenir et puiser dans ses propres forces pour devenir un spécialiste, avec l’ambition de devenir le meilleur magasin du quartier ? Ou bien faut-il proposer une offre sélectionnée sur une grande plateforme ? C’est une possibilité si vous souhaitez atteindre un public national ou même international. N’ignorez pas ces plateformes géantes : vous devez élaborer une stratégie vis-à-vis d’elles. Donnez-vous le temps et les moyens d’y réfléchir. Et quel que soit votre choix, faites-le en pleine connaissance de cause. »
Ce choix a été très clair pour Sofie Rombouts. Elle ne veut pas lier Mofelito Paperito à une plate-forme numérique. « J’ai travaillé pendant dix ans dans le secteur du livre et j’en connais les aspects moins reluisants. Je sais à quel point les conditions de travail sont exécrables auprès de certaines de ces plates-formes. Je ne veux pas m’y associer. La façon dont certains marchés numériques extorquent des remises considérables est par ailleurs désastreuse pour les petits commerçants. Nous ne pouvons pas concurrencer des tarifs aussi bas. Je vois parfois des jeunes entrer dans mon magasin et prendre leur portable pour comparer les prix. C’est inévitable. La plupart des clients se montrent heureusement compréhensifs à l’égard de notre situation. C’est réconfortant. »