Equilibre vie professionnelle-vie privée, diversité, santé mentale, travail à distance. Les mouvements et préoccupations de l’époque se voient progressivement reflétés dans le droit social. Au détriment systématique des employeurs ?
Le droit social belge s’adapte-t–il à la réalité du télétravail ?
A mains égards mais toujours de manière très floue. Comme pour le droit à la déconnexion,récemment institué par le Deal pour l’emploi. La législation reste très ouverte et on dispose de très peu d’éléments qui permettent d’implémenter en pratique ce principe dans les entreprises. En l’état, on en est réduit à se tourner vers la France, plus avancée sur la matière, pour trouver des recommandations et modalités. Par ailleurs le télétravail, notamment à l’étranger, pose beaucoup de questions de droit du travail, fiscal ou de sécurité sociale… Un employeur est responsable de la sécurité de ses employés mais, en situation de télétravail, il n’est souvent pas en mesure – voire pas autorisé – à contrôler celle-ci. Il s’agit donc, pour l’employeur, de prévoir des garde-fous.
Le distanciel pose aussi la question du contrôle du temps de travail.
Teams, TimeDoctor, Slack,… Aujourd’hui, une foule de logiciels permettent de monitorer les employés, qui disposent eux-mêmes d’outils pour y échapper, comme les fausses déconnections par « frozen face » ou des bugs simulés. Tôt ou tard vont survenir des licenciements reposant sur l’utilisation de ces logiciels. Ici encore, le flou de la loi renvoie la « patate chaude » aux juges, obligés finalement de faire le droit plutôt que d’appliquer la loi. Il faudra de nombreuses décisions et du temps avant que ne se dégage une solution juridique uniforme. Entretemps, c’est l’incertitude qui régnera sur ce qui est admissible et recevable, ou non, sur le plan de la vie privée et du secret des télécoms.
Sur quels autres sujets les entreprises vous interpellent-elles ?
De plus en plus sur les questions de discrimination. Notamment de genre ou liée à un état de santé. Et le concept s’étend. Nous travaillons par exemple en ce moment sur un dossier de discrimination par association en matière de pension. Concrètement, une personne pourrait être considérée comme discriminée si une décision en sa défaveur est liée au fait qu’elle s’occupe d’un enfant handicapé ou malade. De fait, de plus en plus d’employés réfléchissent en ces termes.
Avec quel impact dans les sociétés ?
La gestion des absences, surtout de longue durée, se transforme en cauchemar pour les employeurs. Force majeure ultra compliquée, abandon de poste le plus souvent rejeté, risque de discrimination sur l’état de santé,… il faut redoubler de prudence. La législation sur le retour au travail, modifiée en novembre dernier, avait pour but de faciliter celui-ci. C’est tout le contraire qui se passe.
Comment l’expliquer ?
La reconnaissance de la force majeure médicale requiert maintenant de suivre une procédure séparée du trajet de réintégration. Compliquée, longue, et ne pouvant être entamée qu’au bout de 8 mois de maladie, il n’est même pas certain qu’elle aboutisse. Du coup, les employeurs qui veulent s’affranchir de cette situation doivent forcément payer des indemnités de préavis souvent couteuses, vu que l’ancienneté continue de courir pendant la maladie et avec le risque d’une possible action en justice pour discrimination. C’est intenable. J’ai parmi mes clients une société qui doit être liquidée. Elle ne peut le faire avant que ses collaborateurs ne soient tous licenciés. Or l’un d’eux est en congé maladie depuis 15 ans et ne répond à aucun courrier. De quoi bloquer la liquidation pour de longs mois – ou coûter très cher – si l’on respecte strictement la loi.
Comment prévenir au mieux de telles impasses ?
Il faut bien vérifier que les certificats médicaux sont rentrés par l’employé à chaque fois qu’ils le doivent. Il faut aussi démarrer le plus rapidement possible le parcours de réintégration voire la procédure de force majeure. La mutuelle peut s’apparenter à une cage dorée. Un burn-out prolongé, c’est, humainement, le plus souvent l’enfer pour l’employé. Un appel pour s’enquérir de son souhait pour l’avenir peut parfois – sans pressions – permettre de trouver ensemble les voies de sorties qui évitent les procédures juridiques.
Au final, quel regard portez-vous sur l’évolution de notre droit social ces dernières années ?
Nouveau droit de la preuve, RGDP, flexibilité du travail – comme la semaine des 4 jours -, droit à la déconnexion, … Si on regarde comment ces différents principes ont été intégrés dans la législation belges ces dernières années, on a une triple impression de flou, d’incohérence et d’un apriori assez édifiant à l’encontre de employeurs, stigmatisés dans les travaux préparatoires du new Deal. Protéger les travailleurs est tout à fait louable, mais d’un point de vue pratique, il faut aussi que la vie des employeurs reste gérable. Aujourd’hui, à mon sens ce n’est plus le cas. L’ évolutions des relations sociales et l’adaptation du droit qui les cadre est passionnante. Mais trop de droit tue le droit. Plus encore s’il est mal écrit, fruit de trop de compromis politiques. Il dénote une mauvaise gestion législative, créatrice d’insécurité juridique dans un contexte fiscal lourd. Et là, tout le monde est perdant, travailleurs comme entreprises….
Propos recueillis par Philippe Beco
Interview de
Christophe Delmarcelle, associé DEL-Law